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UNE AUTRE ÉCOLE EST-ELLE POSSIBLE ?
Le Travail est-il une Valeur ?
Réponse au ministre Luc Ferry


samedi 1er novembre 2003

 

« Réhabiliter le travail », « rendre l'autorité aux maîtres », « prévenir l'illettrisme », redonner du sens à la « culture scolaire », ouvrir l'école « davantage à la voie professionnelle et à la découverte des métiers »… Voilà quelques unes des priorités que M. Luc Ferry défend dans le débat sur l'éducation à travers une contribution publiée dans le Monde du 15/10/03. L'école paraît aujourd'hui, trop souvent sans doute, comme la succursale des entreprises et le centre de modelage d'un certain projet social.

Réponse.

 

«Le travail rend libre» Inscription au-dessus de l'entrée d'Auschwitz

 

J'ai lu avec intérêt l'article de M. Ferry «Réhabiliter le travail : à l'école aussi» («Le Monde» du 15/10/03) et, dans la mesure où l'écrit du ministre s'inscrit dans une volonté de débat, je me permets d'apporter un regard critique sur une conception particulière du système scolaire à laquelle j'hésite à souscrire.

L'introduction ne mérite sans doute pas que l'on s'y attarde dans la mesure où il s'agit d'une aubade à l'action gouvernementale, ce qui est finalement tout à fait logique puisqu'il s'agit d'une prose de ministre. Toutefois, il serait souhaitable d'approfondir le rapport exact qui est fait entre la «revalorisation du travail» et «la baisse des impôts».

L'inquiétude se pointe néanmoins lorsque le sujet principal de l'article est abordé et qu'il est question du «système scolaire recentré sur ses vraies missions : la prévention de l'illettrisme, le rétablissement de l'autorité des maîtres et de la culture scolaire, la réorganisation en profondeur d'un collège prétendument «unique» qui a désormais bien besoin de s'ouvrir davantage à la voie professionnelle et à la découverte des métiers".

Ce serait donc cela la «vraie mission» du système scolaire ? Dans un premier temps, la prévention de l'illettrisme ne serait pas forcement nécessaire si les moyens adéquats existaient pour mener à bien l'apprentissage initial de la lecture (ceci dit, il s'agit peut être d'une façon de parler et on peut concevoir que toute forme d'apprentissage soit aussi une forme de prévention : Apprendre à nager permet de prévenir les noyades).

Par contre, rétablir l'autorité des maîtres laisse dubitatif en termes de mission (surtout de vraie mission). Que cette autorité soit utile ou nécessaire pour que le système fonctionne -et puisse ainsi remplir une mission- peut s'entendre… Mais que le rétablissement de l'autorité soit LA vraie mission paraît traduire une confusion entre moyens et objectifs !

L'inquiétude s'amplifie lorsque le ministre aborde l'évidence d'une dimension économique avec l'affirmation (repris de Michel Pébereau dans le Monde du 6 octobre) «…la production d'un pays, et donc sa richesse, est inévitablement proportionnelle à la quantité de travail qui est fournie.»

Si le mot «quantité» avait été accompagné du mot «qualité» la critique en serait atténuée. En effet, on constate souvent que le fait de réduire la quantité au profit d'une qualité permet non seulement d'atteindre les mêmes résultats… mais souvent de les surpasser. A cela s'ajoute un facteur essentiel qui n'est pas pris en compte dans l'affirmation et qui, à mon humble avis, le rend caduc : il s'agit tout simplement de la notion de productivité. Ce détail est d'autant plus important puisqu'il fait partie de notre histoire économique. Le passage de l'économie agricole à l'économie industrielle puis à l'économie de services est le fait d'une évolution technologique qui permettait de produire davantage tout en diminuant la quantité de travail nécessaire. Là où vingt agriculteurs étaient nécessaires dans un champ, un tracteur suffit. L'automatisation des moyens de production industrielle a permis d'augmenter la rentabilité au détriment de la main d'œuvre. Affirmer que la richesse d'un pays ne serait liée qu'à la quantité de travail fourni sans prendre en compte le facteur «qualité» et la notion de productivité induit en erreur.

En évoquant trois grandes conceptions de l'enseignement, nous découvrons que l'éducation par le jeu correspondait aux premières figures de l'anarchisme, repris plus loin par l'expression «l'anarchie du jeu». Le postulat s'apparente à la logique simpliste de ceux qui tracent le lien entre anarchie et chaos. Cette idée serait donc incompatible avec un système Républicain où la discipline s'impose comme valeur essentielle. A tout hasard il serait utile de rappeler que les doctrines anarchistes prônent, eux aussi, la discipline comme valeur essentielle. A ceci près qu'il s'agit d'une discipline des individus en tant que membres de la collectivité (et acquise à travers la responsabilisation) dont la force permet de se passer de l'autorité qui lui, impose sa propre discipline. Certes, nos sociétés ne sont peut être pas prêts à faire ce pas, mais le détail mérite d'être rappelé (il est vrai que mai 68 devient de plus en plus tabou par les temps qui courent, mais une des revendications se traduisaient effectivement par une volonté «d'auto-discipline»).

Le débat reste ouvert lorsque l'on aborde l'idée que « ce n'est pas la motivation qui fonde le travail, mais l'inverse ». Sans doute faudra-t-il davantage de temps et de réflexion pour approfondir l'idée. Toujours est-il qu'il est possible d'émettre une hypothèse intuitive qui consisterai à dire qu'il paraît hasardeux de séparer les deux dans un schisme purement chronologique (l'un viendrait après l'autre ou visa versa). Il est possible de penser que l'un ne va pas sans l'autre et que les deux s'entretiennent mutuellement (je rame pour traverser le lac, je produis ainsi un effort qui se traduit par un travail, mais si je le fais, c'est parce que mon objectif, ma motivation, est bien d'arriver de l'autre côté du lac. Si le travail précède la motivation, soit je n'entreprends pas la traversée en premier lieu car je n'en vois pas l'utilité, le sens, l'envie… soit je risque de m'écraser contre un récif).

Pour contribuer à la réflexion, une petite histoire vaut le détour. Ma fille a eu la chance (ou la malchance, dépendant du point de vu) de remplacer un professeur de maintenance électronique dans un lycée professionnel que l'on peu aisément classer dans les « zones à risques ». Classes turbulentes, tensions débordantes parfois sur le champ de la violence. Elle avait une certaine chance dans la mesure où elle restait directe, franche, sans détour… et que son âge la rapprochait des élèves au travers de multiples références communes. Néanmoins, le chaos régnait allègrement et la discipline restait un concept éphémère. Lors d'un cours, elle s'est rendu compte qu'un peu trop d'avions en papier voltigeaient allègrement dans l'espace aérien de la pièce. Que faire ? D'autres avaient voulu instaurer la discipline, la rigueur, le respect ou le droit et d'autres ont été anéantis (celui qu'elle remplaçait était en arrêt maladie pour dépression)… Elle entreprit alors de leur lancer un défi où le gagnant serait celui qui arriverait à fabriquer un avion en papier qui atteindrait l'immeuble en face. Surprise certaine dans la salle… ce qui lui a permis d'aborder un cours d'aérodynamique et de l'intégrer dans le programme.

Anecdote certes, mais qui laisse à réfléchir.

Finalement, là où l'article laisse sur sa faim, c'est par un manque de définitions nécessaires à un réel positionnement. Admettons que l'on cherche à réhabiliter la notion de travail… Cette volonté n'a de sens que si l'on définit exactement ce que l'on entend par travail. Faut-il associer ce terme avec ce fameux triptyque d'une époque sombre, désormais maudit pour nombre d'entre nous, «travail, famille, patrie», et ceci moins par le sens que l'on peut y trouver que par le contexte dans lequel il a été conçu ?

Le travail se traduit par un effort physique ou intellectuel, par un acharnement éventuel…Le travail en soi n'a aucun sens dès lors que l'on le soustrait de son cadre, de son but, de son sens : pour quoi travaille-t-on ? Pour qui travaille-t-on ? Quel objectif et (désolé) quelle motivation justifie le travail ? Le travail en soi n'est pas une valeur, c'est un acte, une action, un verbe que l'on peut classer avec «naître, vivre, mourir…». Les esclaves ont travaillé, ont succombé sous l'effort et étaient assujettis à une discipline de fer. Etaient-ils plus épanouis pour autant ? Exercer sa liberté en travaillant dans ces conditions ne s'applique plus (« Car en travaillant, l'enfant exerce sa liberté »). J'accepte que les associations faites soient un peu fortes, mais cela ne fait que démontrer la nécessité d'aller au-delà des mots et d'en extraire le sens.

Et le sens, on le devine en revenant sur le début de l'article… avec la troisième mission du système scolaire : « s'ouvrir davantage à la voie professionnelle et à la découverte des métiers ». Si on accepte que ce point soit important, voire essentiel en tant que mission, il ne peut être dissocié de la conscientisation, de la responsabilisation, d'un réveil du sens critique, de la capacité d'analyse et d'expression, de la connaissance de notre environnement physique, politique, culturel… La liste est exhaustive mais elle englobe un ensemble de champs qui doivent permettre à l'individu d'intégrer la collectivité, de se positionner dans la société, d'adhérer à des valeurs partagées et de défendre ses positions. En d'autres mots, l'éducation doit aussi permettre à chacun de maîtriser sa citoyenneté en tant qu'acteurs au sein d'une société en évolution et en devenir. Limiter la mission de l'école à une approche professionnelle et à la découverte des métiers, c'est la cantonner dans la logique d'entreprise où l'élève est moins cet être en devenir social qu'un producteur potentiel au service d'une société fondée sur la seule loi de l'économie.

Pour nos enfants, nous attendons quelque chose d'autre.

Amicalement. Tom Roberts.

«La vie n'est pas le travail. Travailler sans cesse rend fou»
Charles de Gaulle

 

 

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