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LE ROI EST MORT… VIVE LE ROI !
Tom Roberts

mardi 1er mars 2005

Ce n'était finalement pas si mal que ça, le temps des royaumes avec leurs rois, reines, princes et princesses… Mieux encore, l'empire avec les empereurs. C'était une époque où l'on ne consultait jamais vers le bas mais toujours vers le haut.

Le paysan sollicitait le bourgeois qui interrogeait le seigneur qui en référait au Roi. Inversement, le Roi ordonnait au prince qui exigeait du bourgeois qui imposait au paysan.

Un système parfait ô combien équilibré, qui se faisait l'économie des futiles débats, des négociations stériles, des consultations laborieuses et inefficaces… Certes, de temps à autre, il arrivait qu'un prince pète les plombs et défie le Roi… ou encore qu'un bourgeois pète plus haut que son cul ou encore qu'un paysan pète tout court au moment de régler la dîme. On faisait la guerre aux uns, on exilait un peu par-ci par-là et on pendait les autres… Puis on n'en parlait plus.

On se demande encore, avec un système si parfait, si équilibré, quelques tarés se sont mis à rêvasser à la démocratie… à des idées aussi saugrenues comme l'Egalité, la Fraternité ou la Liberté… et, non contents de se contenter des rêvasseries, se sont même mis à réclamer des droits.

On se pose effectivement la question sur comment, quelques têtes plus tard, ils ont quasiment réussi leur coup.

Tout cela était bien modeste au départ… Un truc comme «l'égalité» ne concernait pas forcement tout le monde. Si on pouvait effectivement dire que les «droits» de l'homme concernait effectivement les «hommes», certains, comme les noirs et les femmes, n'avaient pas encore accès au statut d'«homme». Il leur faudra encore un siècle et demi (et encore) pour se faire plus ou moins entendre.

Mais comme il faut un début à tout, on reconnaîtra que les intentions étaient nobles… Un processus s'enclenchait et cette maladie contagieuse qu'est la démocratie allait faire tâche d'huile.

Paysans, ouvriers, populaces coriaces et hors concessions…

Révoltes, soulèvements, révolutions, grèves…

Exigences, discours, exclamations et expressions populaires…

La démocratie s'est figée dans les mœurs et s'est forgée dans les âmes.

Démocratie, suffrage universelle, pouvoir par et pour le peuple… admettez la beauté de la chose. Mais les rois et les seigneurs n'avaient pas dit leur dernier mot (du moins, ceux qui ont su conserver leur tête). Ces derniers savaient bien que le pouvoir divin faisait désormais partie du passé… par contre, si la démocratie devenait incontournable, il importait de conserver pouvoir, et donc de trouver une faille dans le système afin de retrouver leur légitimité.

Et la faille, ils l'ont trouvé. Remarquez, ce n'était pas si difficile que cela : ils se sont rapidement rendu compte que le bas peuple était ignare et qu'un ignare, ça croit beaucoup de choses, ça avale des couleuvres, ça se laisse convaincre sans peine, ça se manipule aisément… et donc, lorsque l'on arrive à convaincre l'ignare que tout ce que l'on fait est pour son bien, il ne marche plus, il court.

Il est capable d'applaudir une baisse d'impôt tout en regrettant qu'il n'y ait pas assez d'instituteurs, ou encore de consentir à perdre des acquis en matière de sécurité sociale ou de retraite afin de « sauver » le système de la faillite. Sacré ignare ! Il suffisait que le seigneur dépossédé de sa seigneurie fasse preuve de conviction et d'élégance, brosse l'ignare dans le sens du poil, jongle subtilement entre la démonstration de son savoir et sa capacité de « causer France d'en bas » afin de séduire, plaire et enc…

Là où le bourreau faisait des merveilles au temps jadis, le conseiller en communication pouvait surpasser aisément.

Ce système qui sauva le pouvoir des minorités dirigeantes a un nom : «Populisme».

Et c'est ce populisme qui allait ainsi devenir un des obstacles majeurs à la démocratie.

Certains ont vu le vent venir et ont tenté de trouver une parade. Déjà le vieux Condorcet avait flairé la chose et bien plus tard, Jules Ferry s'y est mis en instaurant l'école obligatoire… Car les deux avaient compris que l'instruction était la meilleure défense.

D'autres ont voulu élargir le champ en évoquant une idée encore plus saugrenue baptisée «Education Populaire». On vit se mettre en place des espaces que l'on dénomma «Universités Populaires».

Mais il faut bien avouer, avec le recul, que la parade n'a pas des masses changé la donne. On retrouvait toujours, d'un côté, la masse soumise et, de l'autre, la minorité dominante. Cette dernière s'était réservé les études de haut vol particulièrement inaccessible aux fils d'ignares. N'est pas patron, juge, préfet, général ou politicien qui veut. Cela reste une histoire de famille.

«Pouvoir par le peuple ? Que racontez-vous là ? Gouverner est une histoire sérieuse qui ne saurait être l'affaire que de gens sérieux, compétents, cultivés, instruits… Après tout, l'enjeu reste le pouvoir».

Alors, la faille trouvée, il fallait mettre en place un système afin de verrouiller le pouvoir. C'était chose toute trouvée : la «Démocratie représentative».

Le principe est en somme tout simple. Le peuple a certes le pouvoir mais reste trop ignare pour l'assumer ou le gérer… donc il choisit d'autres personnes, instruits et savants, qui allaient œuvrer pour le bien de tous. On perfectionnera le système grâce au multipartisme. Ceci donnait l'illusion du choix… donc de pouvoir…

Il serait sans doute trop long ici pour détailler les rouages de ce pouvoir et comment les grandes familles ont su en tirer parti, tout en répartissant les rôles, mais arrêtons-nous un instant sur ce «milieu du pouvoir».

Comme on le sait, une grande famille noble, c'est avant tout un père qui détient les affaires. Il a plusieurs fils :

Le premier reprendra les affaires du père.

Le second s'oriente vers la politique (il fera passer des lois qui facilitera les affaires du premier).

Le troisième sera curé. Il y a toujours un curé dans les grandes familles (c'est trop pratique de se faire absoudre par le frangin).

Puis il y a l'avocat, le juge, le préfet… C'est comme ça les grandes familles, on garde la bergerie ensemble et les loups n'ont qu'à bien se tenir.

J'oubliais, ô pôvre de moi, le général. Lui aussi est bien pratique, lorsque les loups commencent à avoir faim.

Et puis, en passant, évoquons l'artiste de la famille. C'est celui qui n'a pas réussi. Bien que proche des ignares, on ne le lâchera pas par solidarité, donc on lui file quelques sous et des pinceaux. Cela s'appelle le mécénat.

Pendant ce temps et mine de rien, l'éducation progressait un peu dans les rangs du peuple. L'éducation populaire faisait sont petit bonhomme de chemin. En 1901, on autorisa la liberté d'association, en 1905, on sépara l'église et l'Etat… En 36, catastrophe, on parlait à nouveau des droits avec des droits nouveaux, notamment les congés payés et les 40 heures.

Sorti de la seconde grande guerre, une bande d'inconscients qui s'était déjà fait remarquer en tant qu'inconscients en bravant l'occupant, persiste et signe en créant la sécurité sociale et d'autres folles choses. Faut dire que ces résistants ont lâchement profité d'un moment de la faiblesse d'un patronat qui lui, s'était plutôt fait remarquer par sa conscience tendance collabo.

Les choses changeaient mais il faut bien admettre que la minorité dominante était coriace et n'a jamais su baisser les bras. Tant que l'ignare accordais sa confiance au savant et que la démocratie restait représentative, les meubles étaient toujours sous bonne garde.

Puis on fait un petit saut dans le temps pour buter contre un hic historique mais néanmoins mémorable. Certains l'appelaient la révolution de Mai 68. Faut dire que l'époque était fertile en idées en tous genres. On ressorti des tiroirs poussiéreux des trucs jadis cogités, type autogestion. On en profita pour abattre des tabous en tous genres, on causa libération sexuelle, droits des femmes… on osa insinuer que le travail pouvait être abrutissant et on alla jusqu'à remettre la notion même de travail en cause.

La famille dominante se réunit dans son château. Le père consulta ses fils. Le fils préfet consulta son frère général qui s'en référa au frère juge. Tous étaient unanimes sur la nécessité de mater la rébellion.

On envoya la force et la force fut brutale. On usa de stratagèmes divers et variés. On négocia un peu par-ci et par-là. Enfin, à un moment donné, car il le fallait bien, les ouvriers regagnèrent leurs usines, les paysans leurs champs et les étudiants leurs universités.

Mais quelque chose avait changé, un truc au goût de liberté, une chose à laquelle on se mit à rêvasser.

Puis il y avait ceux qui n'étaient retournés nulle part. Ils rêvaient à d'autres mondes possibles, à des communautés libres, à l'anéantissement des chaînes de l'abrutissement social, à des voyages dans le monde et dans l'imaginaire, vers des horizons nouveaux. Ils continuaient à croire que l'autogestion était possible.

Tout ceci faisait quand même un peu désordre mais, Dieu merci, la démocratie représentative était encore bien enracinée dans notre culture politique. Les conseillers en communication dominaient de plus en plus sur la scène, la publicité dévorait les dernières idées marginales et se mit à bâtir une nouvelle société de la consommation. On faisait croire à chacun que l'individualisme était la nouvelle norme et les individus ne voyaient pas qu'ils étaient, en fin de compte, des pièces conformes et uniformes de l'abrutissement de masse (c'est pratique la sonnerie personnalisée de votre portable qui vous donne l'impression d'exister en tant qu'individu… Mais vous faites quand même parti de cette masse… mais ça change du col Mao).

C'est alors qu'une fois de plus, de nouvelles idées perturbantes allaient éclore. Faut dire qu'une idée, c'est tenace et que la somme de plusieurs idées sont particulièrement féroces : elles s'entrechoquent entre elles, se croisent, se multiplient, se synthétisent… puis donnent naissance à de nouvelles idées et d'autres et d'autres encore…

Le pire dans tout ça, c'est qu'il y en a qui aboutissent, voire même se transforment en actions concrètes !

Dans cette masse de loups et d'ignares, il y en avait qui, sans être si ignares que cela ni si loups qu'on le pensait, ont cassé un tabou en remettant en cause la sacro-sainte démocratie représentative. Ils ont même osé évoquer une variante qui s'appellerait «démocratie participative» : un système où les décisions importantes quant à l'avenir de la société serait l'affaire du plus grand nombre.

«Utopiques» crient les réalistes. «Comment voulez-vous qu'un collectif citoyen décide d'orientations budgétaires quand les ignares ne savent même pas ce qu'est un bilan-compte-de-résultat, sont incapables de nommer dix entreprises du CAC40 et sont infoutus d'accepter le principe des stock options».

Les utopistes ne contestent pas que la tâche est tout sauf facile, mais pensent que la réponse résiderait dans l'instruction, dans l'éducation et, plus particulièrement, dans l'éducation populaire.

Djedjiou. Cela paraît impensable, titanesque avec des résultats escomptés peu probables. Comment, du jour au lendemain, confier aux ignares des décisions qui, jusqu'à maintenant, étaient confiés à des spécialistes ? Vous savez : ceux qui ont fait des études et qui ont accumulé une expérience indiscutable ? La politique doit rester l'affaire des politiques.

Certes, rien n'est simple, mais on peut convenir que tout peuple a le droit de participer activement au processus qui le mène vers son devenir. Et ceci, sans obligatoirement passer par des dits «représentants» trop soumis à la raison d'Etat, aux intérêts supérieurs des impératifs économiques… et surtout au pouvoir des maîtres et des idées prédominantes.

Vrai aussi que pour décider, il faut détenir des clés nécessaires à la décision ; être informés, comprendre l'information, pouvoir le décortiquer, l'analyser, la critiquer… puis débattre, échanger, confronter… puis décider.

La tâche, nous l'avons dit, est rude… Mais les esclaves de tout temps qui se sont affranchis, n'avaient-ils pas la tâche rude ?

(Parenthèse :Imaginez un instant ce que cela donnerait si des structures d'éducation populaire disposaient des mêmes moyens pour mener à bien cette tâche que des institutions comme la Banque Mondiale, le FMI, l'OMC…)

(On peut rêver, non ?)

Bon revenons-en à nos moutons.

Nous avons la Démocratie Représentative qui reste la règle en vigueur. Nous avons vu qu'elle ne dérangeait pas trop l'ordre établi… plutôt le contraire.

Nous avons aussi la Démocratie Participative, qui pourrait bousculer pas mal d'habitudes, mais qui demande un effort particulier en termes d'éducation.

Ceux qui se maintiennent au pouvoir dans le cadre de la démocratie représentative ont compris que la démocratie participative représente une menace pour eux. Il faut donc maintenir l'ignare dans l'ignorance. Recours au populisme (et ça, ils savent faire. Au besoin, les Conseillers com ne sont pas loin).

Le détenteur du savoir (donc du pouvoir) sait alors flatter l'ignare et lui faire comprendre que lui seul (celui qui «sait») est en mesure de modeler l'avenir idéal Certes, il faudra accepter quelques sacrifices de temps à autre, se soumettre à de nouvelles règles, concéder des droits acquis… mais cela dans l'intérêt de tous, contre le chaos, la faillite du système, l'insécurité et le terrorisme.

Les médias, de leur côté, engagent l'engrenage et relayent les discours habiles avec force, usant de faits aussi divers qu'effroyables, intolérables que scandaleuses. N'avez vous jamais remarqué cette forme bizarroïde de coïncidence qui fait qu'une nouvelle loi, inscrite depuis des lustres dans un calendrier législatif, est souvent accompagnée de quelques faits d'actualité qui la justifient ?

Le possesseur du savoir sait qu'il ne peut demander à l'ignare de comprendre réellement les enjeux économiques, les faits sociaux, les mécanismes subtiles ou les impératifs supérieurs de la nation… alors il l'assomme à coups de statistiques, de vérités (saintes vérités) avec des « ah que si je mens que je vais en enfer ». Il entraîne les uns et les autres dans des logiques du style « si vous n'approuvez pas mes lois sur la répression, c'est que vous défendez les violeurs des petites filles »…

Puis il arrive au coup de grâce : le mot d'ordre, la consigne de vote !…

CONSIGNE DE VOTE ?

Sans doute est-il temps que j'arrive là où je voulais en venir. Concernant le projet de constitution européenne, faut-il une consigne de vote ?

Après le déchaînement de la prose et face à la réalité de cette échéance, la situation se complexifie singulièrement. Notamment dès lors que nous découvrons, dans le camp de ceux qui défendent le « non », des réalistes et des utopistes.

Les réalistes invoquent, et on ne peut pas leur donner tort, l'urgence de la situation.

Si on prenait le temps nécessaire pour expliquer le contenu de la constitution au plus grand nombre, le « oui » gagnerait au chrono, vu les échéances. L'enjeu est désormais trop important.

Et puis, arguent certains, face à l'adversité, ne faut-il pas aussi savoir user des mêmes armes. Victoire avant tout… après tout ?

Mais les utopistes y voient une contradiction trop grande. La fin ne justifie pas toujours les moyens. Les camarades qui y ont cru sont souvent tombés dans les rouages du système et sont devenus comme ceux qu'ils dénonçaient. La consigne de vote n'est elle pas le fruit de ce système qui oppose les ignares et les détenteurs du savoir : «je sais ce qui est bon pour vous»… ?

Nous ne dénonçons pas simplement le contenu néolibéral d'une constitution mais aussi un simulacre de démocratie qui se joue à travers un référendum.

Le simple fait de dire «Non» à ce texte serait, dit-on, la preuve que nous serions anti-européens… Lorsque c'est exactement l'inverse, notre refus est motivé par notre volonté de construire l'Europe des peuples, de la défense de leurs droits, et non des profits escomptés dans un grand marché néolibérale où la philosophie prédominante serait celle du marché et de la concurrence.

C'est comme si le fait de remettre en cause le « Patriot Act » (USA) nous amènerait à défendre le terrorisme… Ou que de dénoncer la guerre en Irak ou en Afghanistan ferait de nous les disciples du mal.

… Ou encore que de ne pas accepter les lois liberticides en France nous transformerait en défenseurs des tueurs de petites vieilles…

Alors, en fin de compte, entre le contenu et ses implications sur l'avenir…

… entre la manière que les défenseurs du « oui » se prennent en taxant les autres d'anti-européens… escamotant ainsi tout idée véritable de débat, pourtant condition sine qua non de toute prétention démocratique…

On s'aperçoit que l'enjeu réel est peut-être celui du pouvoir, du populisme et finalement de la démocratie représentative elle-même… Sans oublier une nécessaire interrogation sur le rôle des médias (donc qui détient les médias… un autre frère ?)

Bon, il reste pas mal de taff. C'est pas évident mais je doute que le mot d'ordre, que la consigne de vote, soit approprié.

Avouez que c'était plus simple au temps des rois…

TR.

PS. Il est toujours important d'apporter un petit PS… Une précision supplémentaire afin que les choses dites ne soient pas mal interprétés.Je ne me positionne pas contre la démocratie représentative en tant que principe mais en tant que pratique.

En effet, le principe en lui-même n'est pas mal du tout… à condition qu'il fonctionne en pratique… ce qui n'est pas toujours le cas…

…le cas en tous cas, c'est le cas de ce référendum.

Ensuite, je ne veux surtout pas adhérer au discours "Tous pourris"… là aussi, un vieux relent de populisme dans l'air… avec ce petit risque de voir se pointer un fasciste pour tenter de récupérer la mise.

Il existe une multitude de personnes sincères, compétentes, volontaires qui tentent chaque jour de faire pour le mieux, voire changer les choses de l'intérieur du système.

… puis souvent se font bouffer par le système…

Et c'est justement ce système dont je parle, les personnages ne sont que des caricatures pour l'illustrer…

Faut dire qu'il y a des sacrés caricatures…

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