lundi
23 mai 2005
Cela fait 50
ans que l’on cherche à sauver le monde par le développement.
On parle d’éradiquer la pauvreté, la famine,
l’analphabétisation, la misère …
50 ans d'efforts,
de projets, de programmes, d'études, de séminaires,
de conférences… Des milliards investis, des organisations
qui se sont investies : Associations de solidarité internationale,
ONG d'urgence et de développement, coopération d'Etat,
coopération décentralisée, Banque Mondiale,
agences des Nations Unies…
Et pourtant,
50 ans après, les fossés existent toujours. Pire.
L'écart entre pauvres et riches ne cesse de s'aggraver. Peut-être
est-il temps de s'interroger sur cet échec, d'admettre nos
faiblesses, de cibler les véritables obstacles au développement
et d'imaginer une nouvelle façon d'aborder l'avenir.
Retour
sur quelques constats.
En 70-80, on
évoquait les « trois décennies du développement
perdues » car on constatait les efforts et le manque de résultats…
Mais on y croyait encore. Il y avait eu la révolution verte,
les expériences de microdéveloppement, des analyses,
des discours, des constats sur le rôle de la formation comme
conditions sine qua non à l’investissement économique
ou aux évolutions technologiques…
Puis (puisque
cela ne marchait toujours pas) on a pris en compte les dimensions
culturelles pour démontrer que les modèles de développement
ne se ressemblent pas en fonction des contextes… on pensait
à chaque fois avoir trouvé la faille qui permettrait
de débusquer les réponses… peu de choses ont
changé…
« Puis
» en 1992, réunion du «Sommet de la Terre»
à Rio, grand événement initié par la
CNUCED et qui rassembla gouvernements et ONG autour d’une
problématique commune… Est né de cette initiative
le concept de « développement durable ». Désormais,
il n’était plus question d’évoquer la
croissance économique sans prendre en compte les dimensions
sociales, culturelles et environnementales. Le développement
d’aujourd’hui ne peut être envisagé sans
prendre en compte ce que nous laisserons aux générations
futures. L’agenda 21 est alors né. Quelles dynamiques
! Que de vérités ! Que de découvertes ! …
Jusqu’à ce jour, rien ne fonctionnait, mais là….
On y croyait
encore.
Puis dix ans
plus tard, une autre réunion, cette fois-ci à Johannesburg.
Il s’agissait de faire le point… mais là, les
ONG se sont fait rafler les places par les entreprises, multinationales
qui avaient réussi une sacrée prouesse en inventant
un nouveau concept, celle de la «croissance durable».
«La
maison brûle et nous regardons ailleurs» disait
le Président Chirac. C’est vrai que de regarder ailleurs
permet aussi de ne pas voir ceux qui ont allumé et qui entretiennent
l’incendie.
Moralité
: des trente années de développement perdues, nous
sommes passé à quarante, puis cinquante…
On se rend compte
actuellement que non seulement les politiques successives de développement
ont échoué… mais que la situation s’est
aggravée et que les fossés se sont agrandis…
que les 20% des plus pauvres sont encore plus pauvres et que les
20% des riches sont encore plus riches… que la situation s’est
carrément dégradé depuis les années
cinquante, lors des décolonisations, avant même que
l’on invente et que l’on mette en place les différentes
politiques de développement.
Ce phénomène
existe aussi dans nos pays «dites développés»
où même les chiffres officiels du chômage ne
veulent plus dire grande chose face à l’apparition
des «working poor» (c’est à dire ceux qui
ont un emploi mais qui ne s’en sortent pas quand même),
du travail précaire et des conditions de dégradation
de l’emploi…
Pourtant, et
c’est là où le bat blesse, on sait bien pourquoi
le développement n’a pas fonctionné… On
sait –pire encore- pourquoi il ne marchera jamais (l’Afrique
produit 15% des ressources énergétiques de la planète
mais n’en consomme que 2 à 3 %… où est
passé la différence ? Au profit de qui ? et surtout,
pourquoi cette différence ne pourra jamais être comblée
?…).
Et pourtant,
après tant d’années de réflexions, d’expériences,
de partage de savoirs, de capitalisations, d’études…
on reste encore aujourd’hui dans les mêmes discours,
comme si on faisait abstraction de l’échec –pourtant
si évident- du développement.
Exemple d’un
discours récent : «parrainez un enfant du Tiers Monde
pour seulement un euro par jour»… C’était
une affiche que j’ai vu l’autre jour dans le métro.
Un gros placard… un de ces trucs qu’on appelle un 4x6
ou un truc comme ça. Visage d’un pauvre petit bout’choux
avec ce fameux commentaire. Faut dire que le mot «seulement»
interpelle énormément… C’est le même
style que l’on trouve chez Carrefour ou chez Leclerc…
comme si le gamin était en promo, comme tellement d’autres
produits. Pourquoi pas un mois de parrainage gratuit avec chaque
boite de lessive vendue ?… Vous faites double bénéfice
: vous lavez votre linge plus blanc que blanc tout en lavant votre
conscience (ceci dit, j’ai aussi vu le même type de
pub : «Parrainez un enfant. Comment ? Achetez le DVD du
film machin et vous aurez la marche à suivre dedans»…).
Ce qu’on
oublie de dire avec ces histoires de parrainage, c’est que,
oui, votre euro permettra d’envoyer le gamin à l’école
ou permettra de le soigner ou un truc du style… Mais à
côté on oublie de dire que s’il (ou elle) ne
va pas à l’école, c’est parce qu’il
y à un gros blème de déficit en matière
d’éducation. Il n’y a peut être pas de
quoi assurer l’existence d’écoles, la subsistance
de professeurs… Il n’y a peut-être pas de dispensaires
et, même s’il y en avait, il n’y a souvent pas
de quoi payer des médecins pour y bosser. A toutes ces questions
Il y a des raisons…
On oublie aussi
de dire que les mesures d’ajustement structurelles, imposées
par le FMI ou la Banque Mondiale dans le cadre de la dette des pays
du Tiers Monde, abouti souvent à des coupes budgétaires
dans les budgets sociaux, de l’éducation ou de la santé.
Une étude faite sur l’Ethiopie montre que de telles
mesures étaient non seulement inefficaces mais ont miné
l’économie (basée sur l’élevage),
ont aussi contribué à la désintégration
de l’Etat, puis à une situation de chaos généralisé
qui s’est traduit par une guerre.
Juste quelques
chiffres pour réfléchir. Ils nous viennent du PNUD
(Programme des Nations Unies Pour le Développement) :
«Les écarts
de revenus entre pays continuent de se creuser. Tandis qu’en
1960 les 20% les plus riches de la population mondiale disposaient
de 30 fois le revenu des 20% les plus pauvres, en 1997 ce rapport
atteignait 74 contre 1. Cela se vérifie également
à l’intérieur des nations elles-mêmes.»…
(…)
«Face à cette concentration des misères, on
assiste à une concentration de richesses : de 1994 à
1997, la valeur nette cumulée des biens des 200 personnes
les plus riches de la planète est passée de 440 milliards
de dollars à plus de 1000 milliards de dollars»…
Coup de grâce
:
«Le
coût de la réalisation et de maintien d’un accès
universel à l’éducation de base, aux soins de
santé de base, à une nourriture adéquate et
à des infrastructures sanitaires, ainsi que pour les femmes
aux soins de gynécologie et d’obstétrie, est
estimé à environs 40 milliards par an. Soit moins
de 4% de la richesse cumulée des 225 plus grosses fortunes».
Rapportons aussi,
pendant que l’on y est, ce chiffre clé –40 milliards-
au budget de la défense américaine (415 milliards)
et à la guerre en Iraq (72 milliards).
Revenons sur
le local avec une petite interrogation locale : STAJ fait parti
du JSI (Jeunesse et Solidarité internationale). Nous parrainons
des projets de solidarité présentés par des
jeunes et nous faisons aussi parti des jurys. Même si les
projets présentés sont souvent sympathiques et montrent
à quel point les jeunes sont attachés aux valeurs
de la solidarité, force est de constater que les mêmes
stéréotypes réapparaissent constamment et continuent
à être véhiculés. Creuser des puits parce
qu’il n’y a pas d’eau courant, construire des
écoles sans instituteurs, collecter et distribuer des médicaments
qui seront inappropriés, périmés, inutiles…
Sauvons le monde… Mais lequel ?
Cela me rappelle
un peu ce proverbe africain «n’oublie jamais que
la main qui donne est toujours au-dessus de celle qui reçoit»…
suivi d’une remarque à réfléchir : «mords
la main qui te donne à manger…».
Mais il y a
des gens qui bougent, qui réfléchissent… qui
remettent tout ça en question. Tenez, ATTAC, pourtant une
association que j’affectionne et où je milite. Eh bien,
la taxe Tobin, c’est une idée noble : celle de prélever
une taxe sur les flux financiers –ce qui représente
des milliards- afin de financer le développement, la solidarité…
Seule problème, c’est que si un jour (par miracle)
cette taxe voyait le jour, elle existerait parce que le système
qui génère les inégalités existe…
Elle en deviendrait même la caution et on pourra désormais
s’acheter une bonne conscience… tout comme M. Fabius
qui proposait de taxer les ventes d’armes pour financer le
développement… Plus il y aurait des armes, plus on
aurait les moyens de développer… Mais plus il y aurait
des conflits, qui gênent sérieusement les efforts de
développement.
C’est
le paroxysme du Yin et du Yang, du tout et de son opposé.
Mais au-delà,
que dire de l’échec du développement ? Quelles
politiques mettre en place ? Quelles pratiques ? A partir de quels
savoirs, quelles capitalisations, quelles expériences ? ?
? Il y a du taff.
Croire au développement
aujourd'hui, c'est accepter de le remettre en question. Il n'est
pas facile d'admettre un échec mais c'est bien par là
qu'il faut commencer. Il ne faut pas avoir peur d'identifier les
obstacles et d'évaluer nos chances de les surmonter.
Et puis, malgré
le pessimisme de ce texte, il existe des expériences réussies
qui restent à décortiquer. Peut-être y trouverons
nous des sources d'inspiration.
Vaste programme.
TR
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