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LE DEVELOPPEMENT : CONSTAT D'ECHEC ?
TOM ROBERTS

 

 

lundi 23 mai 2005

Cela fait 50 ans que l’on cherche à sauver le monde par le développement. On parle d’éradiquer la pauvreté, la famine, l’analphabétisation, la misère …

50 ans d'efforts, de projets, de programmes, d'études, de séminaires, de conférences… Des milliards investis, des organisations qui se sont investies : Associations de solidarité internationale, ONG d'urgence et de développement, coopération d'Etat, coopération décentralisée, Banque Mondiale, agences des Nations Unies…

Et pourtant, 50 ans après, les fossés existent toujours. Pire. L'écart entre pauvres et riches ne cesse de s'aggraver. Peut-être est-il temps de s'interroger sur cet échec, d'admettre nos faiblesses, de cibler les véritables obstacles au développement et d'imaginer une nouvelle façon d'aborder l'avenir.

Retour sur quelques constats.

En 70-80, on évoquait les « trois décennies du développement perdues » car on constatait les efforts et le manque de résultats… Mais on y croyait encore. Il y avait eu la révolution verte, les expériences de microdéveloppement, des analyses, des discours, des constats sur le rôle de la formation comme conditions sine qua non à l’investissement économique ou aux évolutions technologiques…

Puis (puisque cela ne marchait toujours pas) on a pris en compte les dimensions culturelles pour démontrer que les modèles de développement ne se ressemblent pas en fonction des contextes… on pensait à chaque fois avoir trouvé la faille qui permettrait de débusquer les réponses… peu de choses ont changé…

« Puis » en 1992, réunion du «Sommet de la Terre» à Rio, grand événement initié par la CNUCED et qui rassembla gouvernements et ONG autour d’une problématique commune… Est né de cette initiative le concept de « développement durable ». Désormais, il n’était plus question d’évoquer la croissance économique sans prendre en compte les dimensions sociales, culturelles et environnementales. Le développement d’aujourd’hui ne peut être envisagé sans prendre en compte ce que nous laisserons aux générations futures. L’agenda 21 est alors né. Quelles dynamiques ! Que de vérités ! Que de découvertes ! … Jusqu’à ce jour, rien ne fonctionnait, mais là….

On y croyait encore.

Puis dix ans plus tard, une autre réunion, cette fois-ci à Johannesburg. Il s’agissait de faire le point… mais là, les ONG se sont fait rafler les places par les entreprises, multinationales qui avaient réussi une sacrée prouesse en inventant un nouveau concept, celle de la «croissance durable».

«La maison brûle et nous regardons ailleurs» disait le Président Chirac. C’est vrai que de regarder ailleurs permet aussi de ne pas voir ceux qui ont allumé et qui entretiennent l’incendie.

Moralité : des trente années de développement perdues, nous sommes passé à quarante, puis cinquante…

On se rend compte actuellement que non seulement les politiques successives de développement ont échoué… mais que la situation s’est aggravée et que les fossés se sont agrandis… que les 20% des plus pauvres sont encore plus pauvres et que les 20% des riches sont encore plus riches… que la situation s’est carrément dégradé depuis les années cinquante, lors des décolonisations, avant même que l’on invente et que l’on mette en place les différentes politiques de développement.

Ce phénomène existe aussi dans nos pays «dites développés» où même les chiffres officiels du chômage ne veulent plus dire grande chose face à l’apparition des «working poor» (c’est à dire ceux qui ont un emploi mais qui ne s’en sortent pas quand même), du travail précaire et des conditions de dégradation de l’emploi…

Pourtant, et c’est là où le bat blesse, on sait bien pourquoi le développement n’a pas fonctionné… On sait –pire encore- pourquoi il ne marchera jamais (l’Afrique produit 15% des ressources énergétiques de la planète mais n’en consomme que 2 à 3 %… où est passé la différence ? Au profit de qui ? et surtout, pourquoi cette différence ne pourra jamais être comblée ?…).

Et pourtant, après tant d’années de réflexions, d’expériences, de partage de savoirs, de capitalisations, d’études… on reste encore aujourd’hui dans les mêmes discours, comme si on faisait abstraction de l’échec –pourtant si évident- du développement.

Exemple d’un discours récent : «parrainez un enfant du Tiers Monde pour seulement un euro par jour»… C’était une affiche que j’ai vu l’autre jour dans le métro. Un gros placard… un de ces trucs qu’on appelle un 4x6 ou un truc comme ça. Visage d’un pauvre petit bout’choux avec ce fameux commentaire. Faut dire que le mot «seulement» interpelle énormément… C’est le même style que l’on trouve chez Carrefour ou chez Leclerc… comme si le gamin était en promo, comme tellement d’autres produits. Pourquoi pas un mois de parrainage gratuit avec chaque boite de lessive vendue ?… Vous faites double bénéfice : vous lavez votre linge plus blanc que blanc tout en lavant votre conscience (ceci dit, j’ai aussi vu le même type de pub : «Parrainez un enfant. Comment ? Achetez le DVD du film machin et vous aurez la marche à suivre dedans»…).

Ce qu’on oublie de dire avec ces histoires de parrainage, c’est que, oui, votre euro permettra d’envoyer le gamin à l’école ou permettra de le soigner ou un truc du style… Mais à côté on oublie de dire que s’il (ou elle) ne va pas à l’école, c’est parce qu’il y à un gros blème de déficit en matière d’éducation. Il n’y a peut être pas de quoi assurer l’existence d’écoles, la subsistance de professeurs… Il n’y a peut-être pas de dispensaires et, même s’il y en avait, il n’y a souvent pas de quoi payer des médecins pour y bosser. A toutes ces questions Il y a des raisons…

On oublie aussi de dire que les mesures d’ajustement structurelles, imposées par le FMI ou la Banque Mondiale dans le cadre de la dette des pays du Tiers Monde, abouti souvent à des coupes budgétaires dans les budgets sociaux, de l’éducation ou de la santé. Une étude faite sur l’Ethiopie montre que de telles mesures étaient non seulement inefficaces mais ont miné l’économie (basée sur l’élevage), ont aussi contribué à la désintégration de l’Etat, puis à une situation de chaos généralisé qui s’est traduit par une guerre.

Juste quelques chiffres pour réfléchir. Ils nous viennent du PNUD (Programme des Nations Unies Pour le Développement) :

«Les écarts de revenus entre pays continuent de se creuser. Tandis qu’en 1960 les 20% les plus riches de la population mondiale disposaient de 30 fois le revenu des 20% les plus pauvres, en 1997 ce rapport atteignait 74 contre 1. Cela se vérifie également à l’intérieur des nations elles-mêmes.»…

(…) «Face à cette concentration des misères, on assiste à une concentration de richesses : de 1994 à 1997, la valeur nette cumulée des biens des 200 personnes les plus riches de la planète est passée de 440 milliards de dollars à plus de 1000 milliards de dollars»…

Coup de grâce :

«Le coût de la réalisation et de maintien d’un accès universel à l’éducation de base, aux soins de santé de base, à une nourriture adéquate et à des infrastructures sanitaires, ainsi que pour les femmes aux soins de gynécologie et d’obstétrie, est estimé à environs 40 milliards par an. Soit moins de 4% de la richesse cumulée des 225 plus grosses fortunes».

Rapportons aussi, pendant que l’on y est, ce chiffre clé –40 milliards- au budget de la défense américaine (415 milliards) et à la guerre en Iraq (72 milliards).

Revenons sur le local avec une petite interrogation locale : STAJ fait parti du JSI (Jeunesse et Solidarité internationale). Nous parrainons des projets de solidarité présentés par des jeunes et nous faisons aussi parti des jurys. Même si les projets présentés sont souvent sympathiques et montrent à quel point les jeunes sont attachés aux valeurs de la solidarité, force est de constater que les mêmes stéréotypes réapparaissent constamment et continuent à être véhiculés. Creuser des puits parce qu’il n’y a pas d’eau courant, construire des écoles sans instituteurs, collecter et distribuer des médicaments qui seront inappropriés, périmés, inutiles… Sauvons le monde… Mais lequel ?

Cela me rappelle un peu ce proverbe africain «n’oublie jamais que la main qui donne est toujours au-dessus de celle qui reçoit»… suivi d’une remarque à réfléchir : «mords la main qui te donne à manger…».

Mais il y a des gens qui bougent, qui réfléchissent… qui remettent tout ça en question. Tenez, ATTAC, pourtant une association que j’affectionne et où je milite. Eh bien, la taxe Tobin, c’est une idée noble : celle de prélever une taxe sur les flux financiers –ce qui représente des milliards- afin de financer le développement, la solidarité… Seule problème, c’est que si un jour (par miracle) cette taxe voyait le jour, elle existerait parce que le système qui génère les inégalités existe… Elle en deviendrait même la caution et on pourra désormais s’acheter une bonne conscience… tout comme M. Fabius qui proposait de taxer les ventes d’armes pour financer le développement… Plus il y aurait des armes, plus on aurait les moyens de développer… Mais plus il y aurait des conflits, qui gênent sérieusement les efforts de développement.

C’est le paroxysme du Yin et du Yang, du tout et de son opposé.

Mais au-delà, que dire de l’échec du développement ? Quelles politiques mettre en place ? Quelles pratiques ? A partir de quels savoirs, quelles capitalisations, quelles expériences ? ? ? Il y a du taff.

Croire au développement aujourd'hui, c'est accepter de le remettre en question. Il n'est pas facile d'admettre un échec mais c'est bien par là qu'il faut commencer. Il ne faut pas avoir peur d'identifier les obstacles et d'évaluer nos chances de les surmonter.

Et puis, malgré le pessimisme de ce texte, il existe des expériences réussies qui restent à décortiquer. Peut-être y trouverons nous des sources d'inspiration.

Vaste programme.

TR

 

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