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IL N'Y A PAS DE DEVELOPPEMENT SANS DEMOCRATIE…
Tom Roberts

 

lundi 16 février 2004

Lors de son passage à Paris, le 14 Janvier 2004, le nouveau vice-président Senior de la banque Mondiale, M. Jean Louis Sarbib, a souhaité rencontrer des organisations de la Société Civile afin d'aborder des thèmes sur l'éducation et la jeunesse.

M. Sarbib a abordé certaines difficultés rencontrées lors de la mise en route de programmes de développement dans certains pays où l'on peut constater un déficit flagrant de démocratie, en affirmant que, dans son opinion, "il n'y a pas de développement sans démocratie".

La formule, souvent défendue par d'autres agences internationales, notamment le PNUD, peut surprendre lorsqu'elle est exprimée par un haut fonctionnaire de la Banque Mondiale. Aux yeux des acteurs de la Société Civile, c'est tout à son honneur… Encore faut-il enclencher un débat plus approfondi sur ce que l'on entend exactement par "développement" et par "démocratie".

Il faut replacer ce débat dans un contexte où, effectivement, la Banque Mondiale fait l'objet de critiques souvent vives, dans la mesure où elle se situe dans une sphère qui est perçue comme celle des avocats de la libéralisation économique, aux côtés d'organisations comme l'OMC, le FMI, sous influence du G8.

Le discours est-il issu d'une prise de position individuelle ? Reflète-t-il une orientation nouvelle de la Banque ? La question vaut la peine d'être posée car, pour ceux qui ont eu affaire à cette institution, il est souvent surprenant de découvrir une ouverture d'esprit et une recherche de dialogue qui paraissent en décalage par rapport aux politiques et aux effets qu'induisent ces politiques dans le cadre du développement.

Car, sans doute, le problème que certains soulèvent ne réside pas forcement dans le (ou les) discours, mais dans un système plus global où les composantes et les interactions qui en découlent, rendent les véritables efforts de développement (tel que nous, société civile, nous le définissons) inopérantes.

Admettons sans détour que le fait d'entendre de tels discours est appréciable, surtout lorsqu'il émane directement d'un vice président. On ne peut, à priori, qu'être d'accord.

Néanmoins, il convient sans doute de pousser la logique un peu plus loin. En effet, peut-on dessiner un monde où il y a, d'un côté, des pays "non-démocratiques" et "sous-développés" et de l'autre, des pays "démocratiques" et économiquement viables… bref : "développés" ? C'est ici aussi où nous nous retrouvons devant l'importance de poser des définitions plus précises.

En somme, il est difficile -encore- de dresser un tableau où nous aurions d'un côté les pays "en voie de…" et de l'autre, des pays dites développés.

Et ceci dans la mesure où il nous semble que le développement n'est pas un état mais un processus… ce qui impliquerai dans l'absolu que tout pays est en voie de développement.

De même, il existe des niveaux de démocratie et, au risque de heurter certains, LA démocratie en soi n'existe pas. Certes, si on se limite à accorder une sorte de label démocratique aux pays qui organisent des élections libres, il devient fort possible de décréter un maximum d'états démocratiques (ce qui arrange certains qui ont besoin de cette caution afin de justifier les relations existantes avec d'autres nations dont les modes d'emploi occultent soigneusement toutes considérations des droits de l'homme).

Mais si on attache à cette idée de démocratie l'ensemble des préalables qui sont censés donner du sens à ces élections, c'est à dire le droit à l'éducation, à la santé, à la libre expression, à la liberté associative et syndicale, à la libre circulation et à l'ensemble de droits fondamentaux, on note une singulière absence de démocratie au sens propre, tant au Nord qu'au Sud, à l'Ouest qu'à l'Est.

Certes, des "degrés" existent et c'est bien là où réside la différence entre les uns et les autres, expliquant que certains d'entre nous bénéficient encore d'un niveau de vie confortable qui s'inscrit dans le cadre de sociétés où l'on peut encore jouir de ces droits… et ceci en comparaison avec d'autres régions où le silence permet accessoirement (et aléatoirement) d'augmenter son espérance de vie.

Mais que l'on ne se félicite pas trop rapidement de nos propres acquis car il faut bien admettre que la France, l'Allemagne, l'Europe ou les Etats Unis (pour n'en citer que quelques-uns uns…) souffrent malgré tout d'un déficit démocratique certain.

Sans aller dans les détails, il est possible d'observer les effets de ce déficit à travers l'état des structures sociales et des inégalités qui persistent devant l'éducation, la loi, la santé (pour ne prendre que ces exemples…) :

Education (France) : Que penser d'une nation qui affiche des valeurs d'égalité et où moins de 5% d'enfants d'ouvriers accèdent effectivement à l'enseignement supérieur ?

Loi : Il suffit de suivre l'actualité pour se rendre compte que les moyens nécessaires pour se payer un avocat seront déterminants dans l'issu de n'importe quel jugement. Peut-on parler d'égalité lorsque le portefeuille nomme le verdict ?

Santé : L'exemple de la suppression du CMU (Couverture Maladie Universelle) est révélateur des inégalités dans ce domaine.

A noter qu'aux Etats Unis, ces disparités peuvent être multipliées par un facteur non négligeable.

Ce qui est exprimé ici, c'est qu'en élargissant l'idée de l'existence indéniable d'un lien entre "démocratie" et "développement", tout en supposant que les pays du Nord sont effectivement -aussi- des nations en "voie de développement", il devient possible d'expliquer bon nombre de dysfonctionnements sociaux par les déficits démocratiques.

Là où le débat se corse, c'est lorsque l'on aborde une autre idée qui consiste à penser que ces déficits découlent aussi du fonctionnement des "instances " qui mettent en œuvre des politiques ayant des implications indéniables sur les citoyens sans avoir reçu l'aval de ces derniers. Parmi ces structures, on retrouve effectivement des organismes comme le FMI, l'OMC, les Commissions Européennes ou encore… la Banque Mondiale.

Nous découvrons de jour en jour que "démocratie" et "développement" vont de paire et sont de plus en plus indissociables. L'idée, dans ce contexte "qu'il n'y a pas de développement sans démocratie " relève de la plus grande pertinence.

Surgit néanmoins une nouvelle question qui nous paraît non moins pertinente et qui vaut la peine d'être intégrée dans le débat… Certes, il n'y à pas de développement sans démocratie… mais peut-il y avoir démocratie sans développement ? L'idée dépasse peut être la pensée initiale, mais n'est-il pas temps de prendre l'idée à l'envers et de la reformuler dans ce sens ?

Cette nouvelle approche pose un problème certain. En psychologie, on évoquera ce que l'on appelle le "double bond" (double lien) lorsque plusieurs facteurs contradictoires dans un même problématique aboutissent à une sorte de paradoxe qui se traduit par un système à priori impossible car on ne sait plus par où commencer (la poule ou l'œuf ?). Elle pose aussi un autre problème de taille dès lors que l'on découvre que la démocratie ne se décrète pas (comme on voudrait le faire en Afghanistan ou en Irak) mais se construit progressivement à travers l'histoire, la culture, l'évolution des mécanismes sociaux etc.

De même, le développement, dès lors que l'on l'accepte comme processus en non comme état, découle aussi d'une évolution progressive des cultures, des mentalités, des politiques, des intérêts… Bref, d'un ensemble d'éléments interdépendants : fonder une politique de développement sur une dimension unique (l'économie à travers un PIB par exemple) ne mène nulle part et l'économiste Rostow (années 50), avec sa "théorie du Gap" (ou il suffisait de combler des fossés par des investissements afin de provoquer un "décollage" économique), n'a pas apporté de réponse aux problèmes posés par le développement. Ce qui est dramatique, c'est que, dix ans après la conférence du CNUCED à Rio où est née une nouvelle approche avec l'idée du développement durable, la conférence de Johannesburg a été marquée par un retour en force du "tout économique" sous la pression des entreprises qui y ont découvert une nouvelle manne financière. Ce revirement s'inscrit tout naturellement dans un contexte global marqué par le libéralisme économique mondial.

La démocratie pose des préalables : elle ne peut se passer, par exemple, du droit à l'éducation. Peut-on imaginer qu'un citoyen puisse voter en connaissance de cause, pour un individu, un parti, un programme, sans avoir la moindre idée du contexte sociale, économique voire géopolitique dans lequel s'inscrit ce vote ? Certes, on peut être séduit par un discours, par des slogans, par des mots d'ordre lorsqu'on s'y retrouve en tant qu'individu ("non au chômage", "amélioration des conditions de vie", "moins d'impôts" etc…) mais si les motivations du vote se limitent à ces considérations, cela s'appelle de la démagogie ou encore du populisme. A ce stade, la dictature n'est jamais très loin.

La démocratie peut-elle se passer de l'accès aux droits fondamentaux, à la santé, à l'alimentation, à l'eau potable ?… Celui qui lutte chaque jour afin d'assurer sa survie et celle de sa famille a-t-il la possibilité de regarder au-delà du lendemain ? … à imaginer un monde dans lequel ses enfants auraient un avenir ? Peut-il vraiment s'offrir le luxe d'être un acteur citoyen à part entière. Les faits démontrent le contraire et l'histoire nous apprend que toutes les extrêmes, des dictatures jusqu'au terrorisme, se sont toujours appuyés sur les souffrances et les misères, les crises et les frustrations populaires. A ce titre, le développement -repensé à la lumière des dysfonctionnements actuels- n'est non seulement un préalable à la démocratie (et non un produit), mais aussi une arme redoutable (et pacifique) contre tous les extrémismes qui se nourrissent sur les viviers de la misère.

Ce développement, repensé, en fin de compte, ne doit pas uniquement être fondé sur des objectifs économiques, chiffrables et évaluables, mais -aussi- sur la promotion de tout ce qui construit l'homme dans son milieu, dans sa culture et surtout, dans sa lib

TR

 

 

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