Pays "sous-développés"... Pays "en
voie de développement..." Pays "les moins industrialisés..."
Il existe de multiples façons de définir ces nations
que l'on considère comme étant dépendantes
de l'aide extérieure.
Définir
le développement dans le contexte des pays du tiers-monde
soulève dès le départ un certain nombre de
questions auxquelles nous tenterons de répondre.
Qu'est-ce que
le développement ? Peut-on réellement dresser une
barrière où, d'un côté, nous trouverons
les pays "en voie de..." et, de l'autre, les pays déjà
développés ? Où commence ce développement
et où finit-il?
Ces questions sont d'autant plus perverses qu'il nous semble qu'un
pays -quel qu'il soit- est toujours en développement... Que
le développement n'est pas un "état" mais
un "processus"... Chaque pays est plus ou moins développé
et plus ou moins à développer...
Finalement,
c'est le "stade de développement" ou encore le
fossé qui sépare les différents stades qui
déterminera ce que l'on entend par "en voie de développement".
Pour José
AROCENA ,"Le Développement est une perpétuelle
capacité d'évoluer dans un sens toujours chargé
de positivité." Nous rejoignons l'idée de
processus... Un processus qui n'en finit jamais et qui caractérise
toute évolution humaine.
Si cette définition
contribue à comprendre en quoi consiste le développement,
elle omet néanmoins une dimension qui nous parait importante
dans le cadre de ce document, à savoir que la nature même
du développement est étroitement liée à
la motivation et à la position des acteurs de ce développement.
En effet, les démarches entreprises par ces derniers varient
en fonction des motivations et des intérêts qui entrent
en jeu. Ainsi, il nous semble important de mettre en relief deux
courants qui représentent l'intervention du Nord au Sud :
c'est à dire d'une part, les Etats, agences intergouvernementales
et internationales et, d'autre part, les organisations non-gouvernementales,
les fameuses ONG (au Sud comme au Nord).
FLASH-BACK
Partons donc
de deux visions, et pour les illustrer, nous proposons un petit
retour en arrière, à une époque où l'Eglise
et l'Etat ne faisaient qu'un, et où notre civilisation "occidentale"
découvrit le monde de "l'autre"... le Nouveau Monde.
" L'extraordinaire
combinaison de l'esprit militaire européen, de la technologie
navale et du niveau relativement élevé de la résistance
aux maladies a transformé l'équilibre culturel du
monde dans un laps de temps étonnamment court. Christophe
Colomb a relié les Amériques avec l'Europe en 1492
et les espagnols ont procédé à l'exploration,
la conquête et la colonisation du nouveau monde avec une incroyable
énergie, une sauvagerie excessive et un idéalisme
missionnaire intense." (...) L'alliance intime avec l'église
catholique n'était pas la seule source de la grandeur politique
de l'Espagne. Les trésors américains et un considérable
professionnalisme militaire ont aussi contribué à
la puissance espagnole."
Avec la conquête
du Nouveau Monde, nous nous trouvons en présence de deux
facteurs. D'un côté l'Etat, qui s'enrichissait en or
et en pouvoir, et de l'autre côté l'Eglise, qui s'enrichissait
en âmes... L'un travaillait pour ses caisses et l'autre pour
une certaine idée du salut de l'Homme.
Depuis, l'Eglise
et l'Etat, dans la plupart des cas, ne font plus un, et il est intéressant
de voir, dans les rapports Nord-Sud, que l'héritage laissé
par ces deux courants est toujours bien vivant.
En effet, l'aide
au développement se traduit aujourd'hui par deux approches
:
* D'une part,
nous avons l'action des Etats, organismes intergouvernementaux et
internationaux (Banque Mondiale, FMI...). Ici l'approche est essentiellement
d'ordre économique. L'idée étant en quelque
sorte de permettre aux pays les moins avancés d'intégrer
un système économique mondial... et ceci dans la lignée
de l'économiste ROSTOW.
* D'autre part, l'aide se traduit aussi par les interventions des
ONG, qui travaillent à l'échelle humaine. Il ne s'agit
plus, dans la plupart des cas, de développer une économie
mais de viser une émancipation de l'homme. Nous parlerons
alors d'un développement "à la base", "auto-centré"
cherchant à promouvoir "l'autosuffisance" voire
l'indépendance économique (et donc plus une "interdépendance"
des structures économiques).
Développons
donc les deux approches précédemment citées.
L'APPROCHE ECONOMIQUE
C'est peu de
temps après la seconde guerre mondiale qu'apparaît
la notion de "pays sous-développés". Pour
évaluer le stade de "sous développement",
deux facteurs sont pris en compte : le produit national brut par
habitant et le taux de croissance.
Dès le départ, nous nous retrouvons en face de données
économiques et, à problème économique,
solution économique. Celle-ci sera établie par l'économiste
ROSTOW avec sa théorie du GAP.
LE
GAP...
L'histoire d'un Fossé à combler ?
La théorie
du GAP part d'un raisonnement qui parait a priori simpliste: pour
que le pauvre rattrape le riche, il est nécessaire d'injecter
assez de moyens (crédits) pour permettre un rattrapage.
Ce "décollage"
doit s'effectuer en cinq étapes :
1°) La société
traditionnelle (absence de science et de technologie).
2°) Le pré décollage (création de préalables,
économiques, changement de mentalités).
3°) Le décollage (investissement et épargne, industrialisation).
4°) La maturation (technologie moderne dans tous les domaines).
5°) La société de consommation.
Cette vision
du développement tient bon jusqu'aux années soixante.
Si elle est progressivement abandonnée, ce n'est pas -comme
certains pourraient le penser- parce qu'elle est socialement et
culturellement irréaliste ("changement de mentalités"),
mais parce qu'elle est économiquement inapplicable :
Il y a trop de goulets d'étranglement : un pays ne peut pas
absorber tant de capitaux extérieurs aussi rapidement et
avec efficacité, du fait notamment d'une formation des hommes
insuffisante (Adler)."
VISIONS
ECONOMIQUES DU SOUS-DEVELOPPEMENT
Des critères
de définition du "sous-développement" apparaissent
d'une façon plus globale dans les années soixante.
Celles-ci sont encore utilisées aujourd'hui. Nous retrouverons
toujours le produit national brut par habitant, le taux de croissance
de la population, la part prédominante prise par le secteur
primaire dans l'emploi de la population active et dans les exportations,
ainsi que la faiblesse corrélative de l'industrie manufacturière.
Mais à ces facteurs essentiellement économiques s'ajoutent
d'autres considérations, telles l'importance des inégalités
sociales et spatiales, l'importance de l'analphabétisme et
de la malnutrition, la faiblesse des équipements sanitaires...
, la nécessité de prendre en compte l'aspect "formation"
et, depuis quelque temps, l'état de démocratisation
des pays concernés (notion pouvant être associée
à l'importance croissante accordée par les gouvernements
aux droits de l'homme en général).
Malgré
tout, l'approche économique reste prédominante. L'ouvrage
"Tiers Mondes / Controverses et Réalités"
résume la situation à partir de 1978 ainsi :
" 1978
L'IMPORTANCE DES POLITIQUES NATIONALES SUR LES DETERMINANTS DE LA
CROISSANCE ECONOMIQUE.
L'efficacité
des aides extérieures se fera sentir à condition que
les Etats bénéficiaires intègrent les éléments
suivants :
- Des politiques
monétaires et de crédits, car elles ont des effets
sur l'épargne et sur l'investissement ;
- Des politiques de substitution aux importations qui nécessitent
un fort protectionnisme;
- Des politiques de taux de change qui doivent favoriser les exportations;
- Des politiques de prix intérieurs tenant compte du commerce
international, et de la politique des taux de change;
- Des politiques fiscales qui ont des conséquences sur l'épargne,
l'investissement et les niveaux d'activités dans les différents
secteurs (Anne 0.Krueger, J. Bhagwati, Bela Balassa).
1980
AJUSTEMENT STRUCTUREL ET COORDINATION DE AIDES.
Les mesures
internes de politiques économiques et de réformes
institutionnelles qu'adoptent un pays pour tenter de supprimer les
déséquilibres dont il souffre doivent être soutenues
par la communauté internationale.
CONDITIONNALITE ET COORDINATION SONT LES MAITRES MOTS DES AGENCES
D'AIDE.
1986 ... régler la crise financière des pays en développement,
du fait de leur endettement excessif, et accroît l'efficacité
des aides extérieures. "
* * *
A travers cet
exemple, nous constatons que l'approche est essentiellement à
caractère économique et représente évidemment
un choix, une orientation. L'aide au développement est d'ailleurs
clairement définie dans ce sens.
"C'est
le Comité d'Aide au Développement (CAD), regroupant
les principaux pays de l'OCDE, qui a donné une définition
de l'aide au développement admise dès 1969. Sont considérés
comme Aide Publique au Développement (APD) les apports de
ressources, fournis dans un cadre bilatéral au pays en
développement ou aux institutions multilatérales ;
par des organismes publics ; dont le but essentiel est de favoriser
le développement économique (l'aide militaire est
donc exclue); assortis de conditions financières favorables,
c'est-à- dire sous forme de dons ou de prêts dont l'élément
de libéralité est au moins égal à 25%."
Le lien entre
"Aide Publique" et "développement économique"
apparaît clairement. Nous y trouvons aussi le rôle joué
par des institutions telles la Banque Mondiale et le Fond Monétaire
International.
CHOIX
POLITIQUE D'UNE APPROCHE ECONOMIQUE
Le souci d'intégrer
les pays en voie de développement au sein d'un système
économique mondial se retrouve dans un certain nombre de
discours dont celui de M. Mitterrand dans sa lettre au Français,
lors de sa candidature pour sa réélection, en 1988,
où il précise les motivations de sa politique en faveur
du Tiers Monde :
"... Mais
il ne s'agit pas que de beaux sentiments. C'est aussi notre intérêt,
à nous, pays du Nord, dont les marchés se rétrécissent,
que d'ouvrir aux échanges internationaux des centaines de
millions d'hommes, prêts à produire, à transformer,
à acheter et vendre, à consommer..."
Pour confirmer
cette approche, une autre citation nous semble appropriée
:
" La
construction du Marché Unique Européen, l'ouverture
des pays de l'Est, l'essor du commerce international offrent autant
d'opportunités commerciales nouvelles à ceux de nos
partenaires qui sauront le saisir.
" Mais cela ne sera possible qu'à travers l'assainissement
de l'économie, et le développement de l'initiative
privée. C'est pourquoi j'ai souhaité que nous fassions
évoluer notre coopération sur ce terrain dans le sens
d'une plus grande efficacité au service des entreprises.
" Ils (les Etats) doivent se recentrer sur leurs fonctions
essentielles, et savoir faire place à l'initiative privée,
à la liberté d'entreprendre."
Certes, ce discours
de M. Pelletier, alors Ministre de la Coopération, prononcé
le 21 Février 1990 ("Les investissements privés
en Afrique") se situe en plein dans l'euphorie des ouvertures
à l'Est, donc à un moment où la mode du libéralisme
capitaliste battait son plein face à l'effondrement d'un
certain monde communiste...
Toujours est-il
que nous pouvons y trouver une certaine conception du développement
qui passe d'abord par l'économique et par la nécessaire
adoption d'un modèle unique. Soulignons encore que ce discours
fut prononcé à des chefs d'entreprises françaises
en tant qu'investisseurs potentiels.
M.Pelletier
confirme par ces mots :
"Nous
ne pouvons pas nous désintéresser de cet immense marché
qui sommeille à notre porte."
Voilà
qui est dit.
Bref, le mal
est nommé : et dans ce cas il apparaît clairement qu'il
s'agit d'un sous-développement économique... et que,
selon les Etats, agences intergouvernementales et internationales,
le développement passe par une intégration des pays
en voie de développement (PED) au sein d'un système
économique... Ce modèle unique qui est le nôtre...
ONG
: A LA RECHERCHE D'UN DEVELOPPEMENT A VISAGE HUMAIN.
" Le
développement ne se réduit pas à la
simple croissance économique. Pour être authentique,
il doit être intégral, c'est à dire promouvoir
tout homme et tout l'homme."
Pape Paul VI, s.j.
"Tout
ce qui est humain est nôtre"
Devise du Secours Populaire
Français.
Vouloir définir
les nombreuses ONG selon un modèle unique serait trompeur,
car il est important de souligner la diversité des points
de vue de chacun de ces organismes. Leurs particularités
alimentent encore aujourd'hui de nombreux débats et polémiques.
Notre intention n'est donc pas de présenter les ONG d'une
façon stéréotypée. Néanmoins,
face au courant "économique", la plupart des ONG
présentent des points communs qui sont importants pour la
suite de cette recherche : en effet, leurs interventions se réalisent,
dans la plupart des cas, à travers l'action "volontaire"
et se font essentiellement "à la base" en contact,
voire en collaboration étroite avec les populations bénéficiaires.
Dans l'ouvrage
"L'Etat du Monde" l'ONG est ainsi définie :
"...
La première impression qui domine est celle d'une grande
diversité de situations. Au Nord et encore davantage au Sud,
l'appellation ONG recouvre des réalités fort disparates,
pour ne pas dire contradictoires. Trois éléments semblent
cependant être retenus pour les caractériser :
"-
Un rapport spécifique à l'argent et au profit ; les
valeurs de désintéressement et de gratuité
sont fortement perçues et revendiquées.
"-
Un rapport spécifique aux gouvernements, aux partis et, de
façon générale, à la politique ; l'apolitisme
est constitutif de l'identité même dans la mesure où
il s'agit précisément d'une organisation non-gouvernementale.
"-
Enfin, un rapport spécifique à l'espace international
et plus précisément à l'espace Nord-Sud ; il
est le théâtre d'activités diverses ; transfert
de personnel, de denrées, d'argent, d'informations etc...
"Petites
ou grandes, anciennes ou nouvelles, nationales ou locales, confessionnelles
ou laïques, indépendantes ou rattachées à
un syndicat, une municipalité, un parti politique, une Eglise
ou même une entreprise : avec ou sans volontaires, de courte
ou de longue durée (plus de deux ans) ; spécialisée
ou non sur un village, un pays ou un continent du sud, centrant
ou non leurs efforts sur un domaine particulier (Santé, éducation,
enfance, alimentation) les ONG en France se comptent par milliers."
*
* *
ONG
- ETATS :
JE T'AIME, MOI NON PLUS.....
Il existe une
distance qui sépare les ONG et "l'aide officielle des
Etats" et qui s'apparente à une relation "amour-haine"...
les ONG qui
se réclament du Tiers-mondisme, soulignent que le "mal-développement"
est "intrinsèque au mécanisme actuel des relations
économiques mondiales" . Pour expliquer les difficultés
des pays du Tiers-Monde, des causes sont désignées
: héritages du colonialisme, dépendances économiques,
actions des multinationales... sans oublier l'incontournable dette
!
D'une part ,
ces ONG remettent en question les facteurs économiques et
sociaux du sous-développement tels qu'ils sont perçus
par les Etats et, d'autre part, il leur est justement reproché
de fonder leur discours sur des mythes fondamentaux qui "sont
en contradiction avec les réalités économiques
et sociales du sous-développement".
Dialogue de
sourds ?
Dans une émission
sur les vingt ans de Médecins Sans Frontières, Bernard
Kouchner, alors secrétaire d'Etat à l'Action Humanitaire,
reprochait aux ONG leur volonté d'indépendance excessive
qui devient à force synonyme d'actions isolées, d'énergie
dilapidée et d'argent gaspillé.
Le premier accuse,
le second réplique et ainsi s'enclenche un débat qui,
alimenté par la passion et le pouvoir, se perpétue...
pourtant, l'accalmie se pointe périodiquement et chacun chante
les louanges de l'autre.
" Les
ONG ont, par leur souplesse, par leur ouverture, par leur insertion
dans la société civile, une mission fondamentale de
sensibilisation. Le Ministère de la Coopération et
au Développement, sans négliger son action propre,
entend amplifier son soutien (...) l'action des ONG est exemplaire,
elle est un stimulant précieux pour la coopération
publique française, et l'un des fondements de notre solidarité
avec le sud."
Jacques
Pelletier,
Ministre de la Coopération et du Développement (1988)
Tout va bien
..
(Note de l'auteur.
Ce texte date un peu mais illustre bien, même à l'heure
actuelle, les différentes approches du développement.
La situation s'est même complexifiée : en 1992, la
présence massive des ONG lors de la réunion du CNUCED
à Rio engendrera la démarche du développement
durable et la nécessité de prendre en compte aussi
bien les considérations sociales que les questions liées
à l'environnement et la place de l'homme au sein du système
économique. Pourtant, dix ans après, lors de la réunion
de Johannesburg, ce sont essentiellement les entreprises qui s'imposeront
et on observe un retour en force des idées purement économiques.
Nous assistons ainsi à un retour sur un courant qui a déjà
montré ses limites mais qui illustre bien les stratégies
de la mondialisation néo-libérale où même
le développement représ.
TR
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