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DEVELOPPER : QUI ? COMMENT ? POURQUOI ?

Tom Roberts

 


Pays "sous-développés"... Pays "en voie de développement..." Pays "les moins industrialisés..." Il existe de multiples façons de définir ces nations que l'on considère comme étant dépendantes de l'aide extérieure.

Définir le développement dans le contexte des pays du tiers-monde soulève dès le départ un certain nombre de questions auxquelles nous tenterons de répondre.

Qu'est-ce que le développement ? Peut-on réellement dresser une barrière où, d'un côté, nous trouverons les pays "en voie de..." et, de l'autre, les pays déjà développés ? Où commence ce développement et où finit-il?
Ces questions sont d'autant plus perverses qu'il nous semble qu'un pays -quel qu'il soit- est toujours en développement... Que le développement n'est pas un "état" mais un "processus"... Chaque pays est plus ou moins développé et plus ou moins à développer...

Finalement, c'est le "stade de développement" ou encore le fossé qui sépare les différents stades qui déterminera ce que l'on entend par "en voie de développement".

Pour José AROCENA ,"Le Développement est une perpétuelle capacité d'évoluer dans un sens toujours chargé de positivité." Nous rejoignons l'idée de processus... Un processus qui n'en finit jamais et qui caractérise toute évolution humaine.

Si cette définition contribue à comprendre en quoi consiste le développement, elle omet néanmoins une dimension qui nous parait importante dans le cadre de ce document, à savoir que la nature même du développement est étroitement liée à la motivation et à la position des acteurs de ce développement.
En effet, les démarches entreprises par ces derniers varient en fonction des motivations et des intérêts qui entrent en jeu. Ainsi, il nous semble important de mettre en relief deux courants qui représentent l'intervention du Nord au Sud : c'est à dire d'une part, les Etats, agences intergouvernementales et internationales et, d'autre part, les organisations non-gouvernementales, les fameuses ONG (au Sud comme au Nord).


FLASH-BACK

Partons donc de deux visions, et pour les illustrer, nous proposons un petit retour en arrière, à une époque où l'Eglise et l'Etat ne faisaient qu'un, et où notre civilisation "occidentale" découvrit le monde de "l'autre"... le Nouveau Monde.

" L'extraordinaire combinaison de l'esprit militaire européen, de la technologie navale et du niveau relativement élevé de la résistance aux maladies a transformé l'équilibre culturel du monde dans un laps de temps étonnamment court. Christophe Colomb a relié les Amériques avec l'Europe en 1492 et les espagnols ont procédé à l'exploration, la conquête et la colonisation du nouveau monde avec une incroyable énergie, une sauvagerie excessive et un idéalisme missionnaire intense." (...) L'alliance intime avec l'église catholique n'était pas la seule source de la grandeur politique de l'Espagne. Les trésors américains et un considérable professionnalisme militaire ont aussi contribué à la puissance espagnole."

Avec la conquête du Nouveau Monde, nous nous trouvons en présence de deux facteurs. D'un côté l'Etat, qui s'enrichissait en or et en pouvoir, et de l'autre côté l'Eglise, qui s'enrichissait en âmes... L'un travaillait pour ses caisses et l'autre pour une certaine idée du salut de l'Homme.

Depuis, l'Eglise et l'Etat, dans la plupart des cas, ne font plus un, et il est intéressant de voir, dans les rapports Nord-Sud, que l'héritage laissé par ces deux courants est toujours bien vivant.

En effet, l'aide au développement se traduit aujourd'hui par deux approches :

* D'une part, nous avons l'action des Etats, organismes intergouvernementaux et internationaux (Banque Mondiale, FMI...). Ici l'approche est essentiellement d'ordre économique. L'idée étant en quelque sorte de permettre aux pays les moins avancés d'intégrer un système économique mondial... et ceci dans la lignée de l'économiste ROSTOW.
* D'autre part, l'aide se traduit aussi par les interventions des ONG, qui travaillent à l'échelle humaine. Il ne s'agit plus, dans la plupart des cas, de développer une économie mais de viser une émancipation de l'homme. Nous parlerons alors d'un développement "à la base", "auto-centré" cherchant à promouvoir "l'autosuffisance" voire l'indépendance économique (et donc plus une "interdépendance" des structures économiques).

Développons donc les deux approches précédemment citées.


L'APPROCHE ECONOMIQUE

C'est peu de temps après la seconde guerre mondiale qu'apparaît la notion de "pays sous-développés". Pour évaluer le stade de "sous développement", deux facteurs sont pris en compte : le produit national brut par habitant et le taux de croissance.
Dès le départ, nous nous retrouvons en face de données économiques et, à problème économique, solution économique. Celle-ci sera établie par l'économiste ROSTOW avec sa théorie du GAP.

LE GAP...
L'histoire d'un Fossé à combler ?

La théorie du GAP part d'un raisonnement qui parait a priori simpliste: pour que le pauvre rattrape le riche, il est nécessaire d'injecter assez de moyens (crédits) pour permettre un rattrapage.

Ce "décollage" doit s'effectuer en cinq étapes :

1°) La société traditionnelle (absence de science et de technologie).
2°) Le pré décollage (création de préalables, économiques, changement de mentalités).
3°) Le décollage (investissement et épargne, industrialisation).
4°) La maturation (technologie moderne dans tous les domaines).
5°) La société de consommation.

Cette vision du développement tient bon jusqu'aux années soixante. Si elle est progressivement abandonnée, ce n'est pas -comme certains pourraient le penser- parce qu'elle est socialement et culturellement irréaliste ("changement de mentalités"), mais parce qu'elle est économiquement inapplicable :
Il y a trop de goulets d'étranglement : un pays ne peut pas absorber tant de capitaux extérieurs aussi rapidement et avec efficacité, du fait notamment d'une formation des hommes insuffisante (Adler)."

VISIONS ECONOMIQUES DU SOUS-DEVELOPPEMENT

Des critères de définition du "sous-développement" apparaissent d'une façon plus globale dans les années soixante. Celles-ci sont encore utilisées aujourd'hui. Nous retrouverons toujours le produit national brut par habitant, le taux de croissance de la population, la part prédominante prise par le secteur primaire dans l'emploi de la population active et dans les exportations, ainsi que la faiblesse corrélative de l'industrie manufacturière. Mais à ces facteurs essentiellement économiques s'ajoutent d'autres considérations, telles l'importance des inégalités sociales et spatiales, l'importance de l'analphabétisme et de la malnutrition, la faiblesse des équipements sanitaires... , la nécessité de prendre en compte l'aspect "formation" et, depuis quelque temps, l'état de démocratisation des pays concernés (notion pouvant être associée à l'importance croissante accordée par les gouvernements aux droits de l'homme en général).

Malgré tout, l'approche économique reste prédominante. L'ouvrage "Tiers Mondes / Controverses et Réalités" résume la situation à partir de 1978 ainsi :

" 1978 L'IMPORTANCE DES POLITIQUES NATIONALES SUR LES DETERMINANTS DE LA CROISSANCE ECONOMIQUE.

L'efficacité des aides extérieures se fera sentir à condition que les Etats bénéficiaires intègrent les éléments suivants :

- Des politiques monétaires et de crédits, car elles ont des effets sur l'épargne et sur l'investissement ;
- Des politiques de substitution aux importations qui nécessitent un fort protectionnisme;
- Des politiques de taux de change qui doivent favoriser les exportations;
- Des politiques de prix intérieurs tenant compte du commerce international, et de la politique des taux de change;
- Des politiques fiscales qui ont des conséquences sur l'épargne, l'investissement et les niveaux d'activités dans les différents secteurs (Anne 0.Krueger, J. Bhagwati, Bela Balassa).

1980 AJUSTEMENT STRUCTUREL ET COORDINATION DE AIDES.

Les mesures internes de politiques économiques et de réformes institutionnelles qu'adoptent un pays pour tenter de supprimer les déséquilibres dont il souffre doivent être soutenues par la communauté internationale.
CONDITIONNALITE ET COORDINATION SONT LES MAITRES MOTS DES AGENCES D'AIDE.
1986 ... régler la crise financière des pays en développement, du fait de leur endettement excessif, et accroît l'efficacité des aides extérieures. "

* * *

A travers cet exemple, nous constatons que l'approche est essentiellement à caractère économique et représente évidemment un choix, une orientation. L'aide au développement est d'ailleurs clairement définie dans ce sens.

"C'est le Comité d'Aide au Développement (CAD), regroupant les principaux pays de l'OCDE, qui a donné une définition de l'aide au développement admise dès 1969. Sont considérés comme Aide Publique au Développement (APD) les apports de ressources, fournis dans un cadre bilatéral au pays en
développement ou aux institutions multilatérales ; par des organismes publics ; dont le but essentiel est de favoriser le développement économique (l'aide militaire est donc exclue); assortis de conditions financières favorables, c'est-à- dire sous forme de dons ou de prêts dont l'élément de libéralité est au moins égal à 25%."

Le lien entre "Aide Publique" et "développement économique" apparaît clairement. Nous y trouvons aussi le rôle joué par des institutions telles la Banque Mondiale et le Fond Monétaire International.

CHOIX POLITIQUE D'UNE APPROCHE ECONOMIQUE

Le souci d'intégrer les pays en voie de développement au sein d'un système économique mondial se retrouve dans un certain nombre de discours dont celui de M. Mitterrand dans sa lettre au Français, lors de sa candidature pour sa réélection, en 1988, où il précise les motivations de sa politique en faveur du Tiers Monde :

"... Mais il ne s'agit pas que de beaux sentiments. C'est aussi notre intérêt, à nous, pays du Nord, dont les marchés se rétrécissent, que d'ouvrir aux échanges internationaux des centaines de millions d'hommes, prêts à produire, à transformer, à acheter et vendre, à consommer..."

Pour confirmer cette approche, une autre citation nous semble appropriée :

" La construction du Marché Unique Européen, l'ouverture des pays de l'Est, l'essor du commerce international offrent autant d'opportunités commerciales nouvelles à ceux de nos partenaires qui sauront le saisir.
" Mais cela ne sera possible qu'à travers l'assainissement de l'économie, et le développement de l'initiative privée. C'est pourquoi j'ai souhaité que nous fassions évoluer notre coopération sur ce terrain dans le sens d'une plus grande efficacité au service des entreprises.
" Ils (les Etats) doivent se recentrer sur leurs fonctions essentielles, et savoir faire place à l'initiative privée, à la liberté d'entreprendre."

Certes, ce discours de M. Pelletier, alors Ministre de la Coopération, prononcé le 21 Février 1990 ("Les investissements privés en Afrique") se situe en plein dans l'euphorie des ouvertures à l'Est, donc à un moment où la mode du libéralisme capitaliste battait son plein face à l'effondrement d'un certain monde communiste...

Toujours est-il que nous pouvons y trouver une certaine conception du développement qui passe d'abord par l'économique et par la nécessaire adoption d'un modèle unique. Soulignons encore que ce discours fut prononcé à des chefs d'entreprises françaises en tant qu'investisseurs potentiels.

M.Pelletier confirme par ces mots :

"Nous ne pouvons pas nous désintéresser de cet immense marché qui sommeille à notre porte."

Voilà qui est dit.

Bref, le mal est nommé : et dans ce cas il apparaît clairement qu'il s'agit d'un sous-développement économique... et que, selon les Etats, agences intergouvernementales et internationales, le développement passe par une intégration des pays en voie de développement (PED) au sein d'un système économique... Ce modèle unique qui est le nôtre...

ONG : A LA RECHERCHE D'UN DEVELOPPEMENT A VISAGE HUMAIN.

" Le développement ne se réduit pas à la
simple croissance économique. Pour être authentique,
il doit être intégral, c'est à dire promouvoir tout homme et tout l'homme."
Pape Paul VI, s.j.

"Tout ce qui est humain est nôtre"
Devise du Secours Populaire
Français.

Vouloir définir les nombreuses ONG selon un modèle unique serait trompeur, car il est important de souligner la diversité des points de vue de chacun de ces organismes. Leurs particularités alimentent encore aujourd'hui de nombreux débats et polémiques. Notre intention n'est donc pas de présenter les ONG d'une façon stéréotypée. Néanmoins, face au courant "économique", la plupart des ONG présentent des points communs qui sont importants pour la suite de cette recherche : en effet, leurs interventions se réalisent, dans la plupart des cas, à travers l'action "volontaire" et se font essentiellement "à la base" en contact, voire en collaboration étroite avec les populations bénéficiaires.

Dans l'ouvrage "L'Etat du Monde" l'ONG est ainsi définie :

"... La première impression qui domine est celle d'une grande diversité de situations. Au Nord et encore davantage au Sud, l'appellation ONG recouvre des réalités fort disparates, pour ne pas dire contradictoires. Trois éléments semblent cependant être retenus pour les caractériser :

"- Un rapport spécifique à l'argent et au profit ; les valeurs de désintéressement et de gratuité sont fortement perçues et revendiquées.

"- Un rapport spécifique aux gouvernements, aux partis et, de façon générale, à la politique ; l'apolitisme est constitutif de l'identité même dans la mesure où il s'agit précisément d'une organisation non-gouvernementale.

"- Enfin, un rapport spécifique à l'espace international et plus précisément à l'espace Nord-Sud ; il est le théâtre d'activités diverses ; transfert de personnel, de denrées, d'argent, d'informations etc...

"Petites ou grandes, anciennes ou nouvelles, nationales ou locales, confessionnelles ou laïques, indépendantes ou rattachées à un syndicat, une municipalité, un parti politique, une Eglise ou même une entreprise : avec ou sans volontaires, de courte ou de longue durée (plus de deux ans) ; spécialisée ou non sur un village, un pays ou un continent du sud, centrant ou non leurs efforts sur un domaine particulier (Santé, éducation, enfance, alimentation) les ONG en France se comptent par milliers."

* * *

ONG - ETATS :
JE T'AIME, MOI NON PLUS.....

Il existe une distance qui sépare les ONG et "l'aide officielle des Etats" et qui s'apparente à une relation "amour-haine"...

les ONG qui se réclament du Tiers-mondisme, soulignent que le "mal-développement" est "intrinsèque au mécanisme actuel des relations économiques mondiales" . Pour expliquer les difficultés des pays du Tiers-Monde, des causes sont désignées : héritages du colonialisme, dépendances économiques, actions des multinationales... sans oublier l'incontournable dette !

D'une part , ces ONG remettent en question les facteurs économiques et sociaux du sous-développement tels qu'ils sont perçus par les Etats et, d'autre part, il leur est justement reproché de fonder leur discours sur des mythes fondamentaux qui "sont en contradiction avec les réalités économiques et sociales du sous-développement".

Dialogue de sourds ?

Dans une émission sur les vingt ans de Médecins Sans Frontières, Bernard Kouchner, alors secrétaire d'Etat à l'Action Humanitaire, reprochait aux ONG leur volonté d'indépendance excessive qui devient à force synonyme d'actions isolées, d'énergie dilapidée et d'argent gaspillé.

Le premier accuse, le second réplique et ainsi s'enclenche un débat qui, alimenté par la passion et le pouvoir, se perpétue... pourtant, l'accalmie se pointe périodiquement et chacun chante les louanges de l'autre.

" Les ONG ont, par leur souplesse, par leur ouverture, par leur insertion dans la société civile, une mission fondamentale de sensibilisation. Le Ministère de la Coopération et au Développement, sans négliger son action propre, entend amplifier son soutien (...) l'action des ONG est exemplaire, elle est un stimulant précieux pour la coopération publique française, et l'un des fondements de notre solidarité avec le sud."

Jacques Pelletier,
Ministre de la Coopération et du Développement (1988)

Tout va bien ..

(Note de l'auteur. Ce texte date un peu mais illustre bien, même à l'heure actuelle, les différentes approches du développement. La situation s'est même complexifiée : en 1992, la présence massive des ONG lors de la réunion du CNUCED à Rio engendrera la démarche du développement durable et la nécessité de prendre en compte aussi bien les considérations sociales que les questions liées à l'environnement et la place de l'homme au sein du système économique. Pourtant, dix ans après, lors de la réunion de Johannesburg, ce sont essentiellement les entreprises qui s'imposeront et on observe un retour en force des idées purement économiques. Nous assistons ainsi à un retour sur un courant qui a déjà montré ses limites mais qui illustre bien les stratégies de la mondialisation néo-libérale où même le développement représ.

TR

 

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