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Coup de Gueule : Solidarité contre Développement ?

CHRONIQUES D’UN SYSTEME

Tom Roberts

Mercredi 28 juillet 2004

La bonne conscience se vend toujours bien... Mais quand abordera-t-on le fond des problèmes ?

Affiche dans le métro.

Visage d’une gamine. D’une pauvre gamine. Les yeux tristes. Le regard perdu, vide, sombre.

Elle a raison d’être triste. Il paraît qu’elle bosse dans une mine. Enfance terrible, celle qui travaille et que l’on exploite.

Elle n’est pas scolarisée. Elle n’a pas d’avenir. Avec elle, toute une génération sans avenir. Le sort d’un Tiers monde en déroute est ainsi évoqué à travers ce regard triste.

Mais il y a de l’espoir, un brin, une lueur d’espoir… une échappatoire est proposée et le sort de la gamine relève désormais d’un geste, d’un simple geste : parrainez là !

Et c’est tout simple, c’est à la portée de tous et de tous les portefeuilles : l’affiche précise « pour seulement un euro par jour ».

Et c’est là où tout s’effondre. On n’est plus devant un message (détresse, injustice et espoir), mais en présence d’une réclame. «Pour seulement I Euro par jour». La gamine est en promo, la solidarité est soldée, l’espoir devient argument de vente.

On aurait pu utiliser une formule du genre : «Un euro suffit pour changer le cours du destin»… mais on lâche le mot clé «seulement» car on s’adresse à des consommateurs et qu’il faut utiliser un langage qu’ils comprennent, qui retient leur attention.

Et c’est tout à fait révélateur car on comprend progressivement que l’affiche, le message, l’image et la démarche proposée fait partie d’un système qui est aussi celui qui génère les exclusions et les injustices. Nous vivons dans un monde qui fonctionne sur la défense des intérêts des nantis, où le fonctionnement économique et les marchés existent pour maintenir l’ordre qui sert et qui renforce le plus fort (normal, lorsque le plus fort est justement celui qui établit les règles). Que penser de l’hypocrisie des pays nantis lorsque les ventes d’armes représentent quinze fois les sommes consacrées au développement (*) ?… et que ces mêmes armes sont vendues par les mêmes nantis à des pays endettés qui doivent sacrifier l’éducation et la santé pour avoir l’illusion qu’ils représentent quelque chose qui ressemblerait à une puissance militaire ? Le problème de la gamine, ce n’est pas uniquement le fait qu’elle n’ait pas les moyens de se payer une scolarisation, c’est carrément l’absence d’un système scolaire auquel elle pourrait accéder… c’est le fait que son pays investi plutôt dans les armes que dans l’avenir de ses enfants.

Le problème de la gamine, ce n’est pas uniquement qu’elle survit dans un taudis et qu’elle est obligée de trimer dure pour ramener quelques miettes à sa famille, mais qu’elle vit dans un pays qui coupe les crédits sociaux afin de rembourser des dettes contractées auprès des puissants… Et cela sous l’œil bienfaisant de bailleurs qui conditionnent les prêts futurs à des ajustements structurels trop souvent draconiens.

Réfléchissons un instant, le «développement» est un concept qui est apparu dans les années cinquante… Il a subi de nombreuses mutations et a permis d’aborder de nombreux champs : de la considération purement économique (Rostow) à la prise en compte des compétences humaines… puis nous avons découvert le «développement durable» qui devait être une sorte de synthèse globale, pierre angulaire de la problématique Nord-Sud.

Cinquante ans plus tard, les «experts» s’accordent pour dire que rien n’a vraiment bougé. Pire, la situation s’est carrément dégradée malgré toutes les théories et tous les discours. Certes, il y a des exceptions mais elles ne pèsent pas si lourd que ça dans une situation globalement détériorée (**).

Oui sans doute il faut continuer à parrainer des enfants. Oui, il faut construire ici ou là un dispensaire ou une école… Oui, il faut soulager les souffrances et soigner des plaies lors de catastrophes ou de conflits. Mais cette action n’a de valeur et ne peut prétendre à un semblant d’efficacité que si elle s’intègre dans une démarche plus globale où l’on remet en cause des systèmes et non des conjonctures.

Nous parlons d’un système global qui génère une injustice globale où on ne peut pas isoler des phénomènes et dissocier les mécanismes. Le seul changement qui est digne de ce nom sera celle qui s’effectuera en profondeur et à tous les niveaux. C’est dans ce cadre que doit s’inscrire la solidarité.

Il y a trente ans, on dénonçait les vendeurs de bonne conscience, mais la vente de la bonne conscience est toujours une affaire qui marche, comme les autres affaires d’ailleurs… Normal, c’est le même fond de commerce.

Tom Roberts Juillet 2004

(*) 900 Milliards de dollars dépensés dans le monde pour la défense contre soixante milliards consacrés à l’aide… sans parler des 325 milliards utilisés pour les subsides agricoles (source : Banque Mondiale). En 2002, les livraisons d’armes à l’Asie, au Moyen Orient, l’Amérique Latine et à l’Afrique constituaient 66,7 % de la valeur de toutes les armes livrées dans le monde (Oxfam).

(*) D'après le rapport du PNUD 2003 (Programme des Nations Unies pour le Développement) les "inégalités se sont nettement creusés entre 1970 et les années quatre-vingt dix par rapport à n'importe quelle période antérieure à 1950" (Et c'est justement à partir des années 50 que l'on s'est lancé dans la grande aventure du développement). De quoi réfléchir...

 

 

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