Et c’est
tout simple, c’est à la portée de tous et de
tous les portefeuilles : l’affiche précise «
pour seulement un euro par jour ».
Et c’est là
où tout s’effondre. On n’est plus devant un message
(détresse, injustice et espoir), mais en présence
d’une réclame. «Pour seulement I Euro par jour».
La gamine est en promo, la solidarité est soldée,
l’espoir devient argument de vente.
On aurait pu
utiliser une formule du genre : «Un euro suffit pour changer
le cours du destin»… mais on lâche le mot
clé «seulement» car on s’adresse
à des consommateurs et qu’il faut utiliser un langage
qu’ils comprennent, qui retient leur attention.
Et c’est
tout à fait révélateur car on comprend progressivement
que l’affiche, le message, l’image et la démarche
proposée fait partie d’un système qui est aussi
celui qui génère les exclusions et les injustices.
Nous vivons dans un monde qui fonctionne sur la défense des
intérêts des nantis, où le fonctionnement économique
et les marchés existent pour maintenir l’ordre qui
sert et qui renforce le plus fort (normal, lorsque le plus fort
est justement celui qui établit les règles). Que penser
de l’hypocrisie des pays nantis lorsque les ventes d’armes
représentent quinze fois les sommes consacrées au
développement (*) ?… et que ces mêmes armes sont
vendues par les mêmes nantis à des pays endettés
qui doivent sacrifier l’éducation et la santé
pour avoir l’illusion qu’ils représentent quelque
chose qui ressemblerait à une puissance militaire ? Le problème
de la gamine, ce n’est pas uniquement le fait qu’elle
n’ait pas les moyens de se payer une scolarisation, c’est
carrément l’absence d’un système scolaire
auquel elle pourrait accéder… c’est le fait que
son pays investi plutôt dans les armes que dans l’avenir
de ses enfants.
Le problème
de la gamine, ce n’est pas uniquement qu’elle survit
dans un taudis et qu’elle est obligée de trimer dure
pour ramener quelques miettes à sa famille, mais qu’elle
vit dans un pays qui coupe les crédits sociaux afin de rembourser
des dettes contractées auprès des puissants…
Et cela sous l’œil bienfaisant de bailleurs qui conditionnent
les prêts futurs à des ajustements structurels trop
souvent draconiens.
Réfléchissons
un instant, le «développement» est un concept
qui est apparu dans les années cinquante… Il a subi
de nombreuses mutations et a permis d’aborder de nombreux
champs : de la considération purement économique (Rostow)
à la prise en compte des compétences humaines…
puis nous avons découvert le «développement
durable» qui devait être une sorte de synthèse
globale, pierre angulaire de la problématique Nord-Sud.
Cinquante ans
plus tard, les «experts» s’accordent pour dire
que rien n’a vraiment bougé. Pire, la situation s’est
carrément dégradée malgré toutes les
théories et tous les discours. Certes, il y a des exceptions
mais elles ne pèsent pas si lourd que ça dans une
situation globalement détériorée (**).
Oui sans doute
il faut continuer à parrainer des enfants. Oui, il faut construire
ici ou là un dispensaire ou une école… Oui,
il faut soulager les souffrances et soigner des plaies lors de catastrophes
ou de conflits. Mais cette action n’a de valeur et ne peut
prétendre à un semblant d’efficacité
que si elle s’intègre dans une démarche plus
globale où l’on remet en cause des systèmes
et non des conjonctures.
Nous parlons
d’un système global qui génère une injustice
globale où on ne peut pas isoler des phénomènes
et dissocier les mécanismes. Le seul changement qui est digne
de ce nom sera celle qui s’effectuera en profondeur et à
tous les niveaux. C’est dans ce cadre que doit s’inscrire
la solidarité.
Il y a trente
ans, on dénonçait les vendeurs de bonne conscience,
mais la vente de la bonne conscience est toujours une affaire qui
marche, comme les autres affaires d’ailleurs… Normal,
c’est le même fond de commerce.
Tom Roberts
Juillet 2004
(*) 900 Milliards
de dollars dépensés dans le monde pour la défense
contre soixante milliards consacrés à l’aide…
sans parler des 325 milliards utilisés pour les subsides
agricoles (source : Banque Mondiale). En 2002, les livraisons d’armes
à l’Asie, au Moyen Orient, l’Amérique
Latine et à l’Afrique constituaient 66,7 % de la valeur
de toutes les armes livrées dans le monde (Oxfam).
(*) D'après
le rapport du PNUD 2003 (Programme des Nations Unies pour le Développement)
les "inégalités se sont nettement creusés
entre 1970 et les années quatre-vingt dix par rapport à
n'importe quelle période antérieure à 1950"
(Et c'est justement à partir des années 50 que l'on
s'est lancé dans la grande aventure du développement).
De quoi réfléchir...
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