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"Catastrophes peu naturelles...
à propos de responsabilités..."

L'exemple de Katrina

Tom Roberts

 

Nouvelle Orléans quand j'y suis passé

Plaquons les préalables inévitables mais nécessaires :

Un, je suis états-unien, version expatriée mais attaché à mes racines et à un pays que j'aime (sisisi, on peut le dire). Deux, au nom de cet attachement, je me situe dans le camp des «anti-Bush». Dieu sait que la politique américaine n'a jamais été du côté des anges mais il faut avouer que, depuis cinq ans, tous les records de l'abomination ont été battus. Triste record. Entre l'entreprise guerrière contre une menace invisible, qui se solde par la mort d'innocentes victimes (mais qui à l'avantage de permettre à certains de poser des options sur une manne pétrolière non négligeable ou encore de booster -entre autres- les affaires du complexe militaro-industriel), la dégradation impressionnante du paysage social interne au pays ou encore l'attitude irresponsable sur le plan de l'environnement, nous avons atteint le paroxysme d'une démence impériale.

... Enfin, trois, après avoir travaillé pendant de nombreuses années dans le milieu dit « humanitaire », j'ai acquis une certaine connaissance des situations de catastrophes. De ce fait, je ne suis pas du tout étonné par les effets dévastatrices du cyclone Katrina dans le Sud des Etats Unis.

Les préalables sont posés et c'est sur ces bases que j'avoue que l'énervement me gagne lorsque je lis, autant dans la presse française qu'américaine, les articles qui accusent Bush et son administration d'être les responsables d'une politique qui a mené au désastre (et qu'à son tour, l'administration tente de pointer les responsabilités locales et d'enfoncer les démocrates).

Cela peut paraître paradoxale. L'occasion est trop belle : on n'arrive pas à abattre (politiquement, cela s'entend) l'homme qui a réinventé la guerre préventive et qui, au nom de la lutte contre le terrorisme pour défendre la démocratie et la liberté, mène une politique préjudiciable aux libertés (dont le fameux patriot act...) et donc à la démocratie... Ainsi, son inefficacité dans la crise actuelle vient à point pour ceux qui aimeraient conjuguer son règne au passé.

Cette paradoxe apparente n'en est pas une. A la base, il y a une question d'honnêteté intellectuelle. Mais surtout, il me paraît essentiel de comprendre les mécanismes qui ont transformé un phénomène naturel en désastre national.

L'expérience nous a démontré qu'il n'y a pas de catastrophes naturelles ! Le concept en soi est une absurdité. Il n'y a que des phénomènes naturels. La catastrophe en soi n'est que la traduction de l'impact de ces phénomènes sur les communautés humaines (un séisme au milieu du Sahara n'aura pas le même impact qu'un séisme au Guatemala ou à Los Angeles). A son tour, cet impact est proportionnel à la vulnérabilité des populations. L'étude des catastrophes de ces trente dernières années le démontre clairement.

La vulnérabilité se traduit par différents facteurs. On peut évoquer le manque de préparation ou encore le manque de prévention... On peut évoquer aussi les aménagements urbains qui ne prennent pas en compte le facteur risque, ou encore l'exploitation à outrance de ressources naturelles qui fragilisent l'écosystème. Par contre, un des facteurs essentiels qui revient régulièrement et qui reste sans appel est tout simplement la pauvreté.

En effet, lorsque l'on fait une étude comparative de l'impact des phénomènes naturels d'une même intensité sur différentes populations, d'une façon générale, il croît considérablement en fonction du niveau de pauvreté.

C'est pour cela que les conséquences du cyclone Katrina, à la Nouvelle Orléans, ne me surprennent pas du tout. Et la responsabilité des autorités (d'hier et d'aujourd'hui) est d'autant plus grande que tout cela était prévisible.

Je suis passé il y a bien longtemps à la Nouvelle Orléans. Comme souvent, je me suis perdu (j'aime me perdre. On découvre tant de choses en se perdant) et j'ai sillonné les bas quartiers où j'ai découvert le visage caché de la ville : une pauvreté indigne des USA. Déjà, en 1973, tous les facteurs de vulnérabilité étaient là. Depuis, les présidents des Etats Unis, républicains et démocrates, se sont succédés et rien n'a changé (peut être que si, la situation s'est dégradée). J'ai sillonné le pays d'est en ouest, du nord au sud et je me suis rendu compte que la Nouvelle Orléans n'était pas une exception. La catastrophe potentielle est omni-présente.

Mais il en va de même à travers le monde, de l'Asie à l'Afrique en passant par L'Amérique centrale, du Sud ou encore l'Europe. C'est pourquoi accuser un homme serait non seulement facile mais également dangereux puisque les véritables causes risquent de passer à l'as : il s'agit de tout un système qu'il faut décortiquer car, dès lors que ce système génère les inégalités, les exclusions, la pauvreté... les vulnérabilités s'additionnent et ne pardonnent pas le jour où « l'accident » arrive.

Pourquoi les incendies d'immeubles insalubres en France ont fait autant de victimes ? La comparaison est intéressante car nous y trouvons les mêmes ingrédients : pauvreté, exclusion, indifférence des pouvoirs politiques et puis, un jour, l'accident qui vire au drame.

Et derrière le système, des politiques, des choix économiques où la recherche du profit maximum est rendu possible grâce à la réduction des coûts qu'impliquerait une véritable processus de prévention... Car ce coût n'est pas neutre, loin de là. On peut renforcer des digues, certes, mais cela restera partielle si on ne prend pas en compte le facteur social.

La prévention, la réduction des vulnérabilités, implique et une réelle volonté de lutter contre la pauvreté et tout ce que ce terme implique en matière d'exclusions, de ségrégations, d'injustices et d'inégalités, autant aux Etats Unis que dans les pays du Sud... ou encore en Europe. Et ce ne sont pas les logiques néolibérales qui arrangeront les choses, bien au contraire.

Tom Roberts

 

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