Plaquons
les préalables inévitables mais nécessaires
:
Un,
je suis états-unien, version expatriée mais attaché
à mes racines et à un pays que j'aime (sisisi, on
peut le dire). Deux, au nom de cet attachement, je me situe dans
le camp des «anti-Bush». Dieu sait que la politique
américaine n'a jamais été du côté
des anges mais il faut avouer que, depuis cinq ans, tous les records
de l'abomination ont été battus. Triste record. Entre
l'entreprise guerrière contre une menace invisible, qui se
solde par la mort d'innocentes victimes (mais qui à l'avantage
de permettre à certains de poser des options sur une manne
pétrolière non négligeable ou encore de booster
-entre autres- les affaires du complexe militaro-industriel), la
dégradation impressionnante du paysage social interne au
pays ou encore l'attitude irresponsable sur le plan de l'environnement,
nous avons atteint le paroxysme d'une démence impériale.
... Enfin,
trois, après avoir travaillé pendant de nombreuses
années dans le milieu dit « humanitaire », j'ai
acquis une certaine connaissance des situations de catastrophes.
De ce fait, je ne suis pas du tout étonné par les
effets dévastatrices du cyclone Katrina dans le Sud des Etats
Unis.
Les préalables
sont posés et c'est sur ces bases que j'avoue que l'énervement
me gagne lorsque je lis, autant dans la presse française
qu'américaine, les articles qui accusent Bush et son administration
d'être les responsables d'une politique qui a mené
au désastre (et qu'à son tour, l'administration tente
de pointer les responsabilités locales et d'enfoncer les
démocrates).
Cela peut paraître
paradoxale. L'occasion est trop belle : on n'arrive pas à
abattre (politiquement, cela s'entend) l'homme qui a réinventé
la guerre préventive et qui, au nom de la lutte contre le
terrorisme pour défendre la démocratie et la liberté,
mène une politique préjudiciable aux libertés
(dont le fameux patriot act...) et donc à la démocratie...
Ainsi, son inefficacité dans la crise actuelle vient à
point pour ceux qui aimeraient conjuguer son règne au passé.
Cette paradoxe
apparente n'en est pas une. A la base, il y a une question d'honnêteté
intellectuelle. Mais surtout, il me paraît essentiel de comprendre
les mécanismes qui ont transformé un phénomène
naturel en désastre national.
L'expérience
nous a démontré qu'il n'y a pas de catastrophes naturelles
! Le concept en soi est une absurdité. Il n'y a que des phénomènes
naturels. La catastrophe en soi n'est que la traduction de l'impact
de ces phénomènes sur les communautés humaines
(un séisme au milieu du Sahara n'aura pas le même impact
qu'un séisme au Guatemala ou à Los Angeles). A son
tour, cet impact est proportionnel à la vulnérabilité
des populations. L'étude des catastrophes de ces trente dernières
années le démontre clairement.
La vulnérabilité
se traduit par différents facteurs. On peut évoquer
le manque de préparation ou encore le manque de prévention...
On peut évoquer aussi les aménagements urbains qui
ne prennent pas en compte le facteur risque, ou encore l'exploitation
à outrance de ressources naturelles qui fragilisent l'écosystème.
Par contre, un des facteurs essentiels qui revient régulièrement
et qui reste sans appel est tout simplement la pauvreté.
En effet, lorsque
l'on fait une étude comparative de l'impact des phénomènes
naturels d'une même intensité sur différentes
populations, d'une façon générale, il croît
considérablement en fonction du niveau de pauvreté.
C'est pour cela
que les conséquences du cyclone Katrina, à la Nouvelle
Orléans, ne me surprennent pas du tout. Et la responsabilité
des autorités (d'hier et d'aujourd'hui) est d'autant plus
grande que tout cela était prévisible.
Je suis passé
il y a bien longtemps à la Nouvelle Orléans. Comme
souvent, je me suis perdu (j'aime me perdre. On découvre
tant de choses en se perdant) et j'ai sillonné les bas quartiers
où j'ai découvert le visage caché de la ville
: une pauvreté indigne des USA. Déjà, en 1973,
tous les facteurs de vulnérabilité étaient
là. Depuis, les présidents des Etats Unis, républicains
et démocrates, se sont succédés et rien n'a
changé (peut être que si, la situation s'est dégradée).
J'ai sillonné le pays d'est en ouest, du nord au sud et je
me suis rendu compte que la Nouvelle Orléans n'était
pas une exception. La catastrophe potentielle est omni-présente.
Mais il en va
de même à travers le monde, de l'Asie à l'Afrique
en passant par L'Amérique centrale, du Sud ou encore l'Europe.
C'est pourquoi accuser un homme serait non seulement facile mais
également dangereux puisque les véritables causes
risquent de passer à l'as : il s'agit de tout un système
qu'il faut décortiquer car, dès lors que ce système
génère les inégalités, les exclusions,
la pauvreté... les vulnérabilités s'additionnent
et ne pardonnent pas le jour où « l'accident »
arrive.
Pourquoi les
incendies d'immeubles insalubres en France ont fait autant de victimes
? La comparaison est intéressante car nous y trouvons les
mêmes ingrédients : pauvreté, exclusion, indifférence
des pouvoirs politiques et puis, un jour, l'accident qui vire au
drame.
Et derrière
le système, des politiques, des choix économiques
où la recherche du profit maximum est rendu possible grâce
à la réduction des coûts qu'impliquerait une
véritable processus de prévention... Car ce coût
n'est pas neutre, loin de là. On peut renforcer des digues,
certes, mais cela restera partielle si on ne prend pas en compte
le facteur social.
La prévention,
la réduction des vulnérabilités, implique et
une réelle volonté de lutter contre la pauvreté
et tout ce que ce terme implique en matière d'exclusions,
de ségrégations, d'injustices et d'inégalités,
autant aux Etats Unis que dans les pays du Sud... ou encore en Europe.
Et ce ne sont pas les logiques néolibérales qui arrangeront
les choses, bien au contraire.
Tom Roberts
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