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La Déstructuration Sociale
Dynamique du Chaos.


Le texte écrit en Novembre 2005 commençait ainsi :

"Je travaille pour une association de «jeunesse et d’Education Populaire ». Cette «appellation» est aujourd’hui lourde de sens. Si nous ne ne sommes pas forcement dans les quartiers qui font l’actualité aujourd’hui, nous intervenons quotidiennement auprès de jeunes, dont certains sont dans des situations difficiles. Bientôt, certains d’entre nous vont certainement pointer au chômage. Une baisse sensible des subventions, dont certains allant jusqu’à –80%, nous oblige à restructurer l’association, sans savoir si nous arriverons, en bout de course, à maintenir notre activité. Je souhaitais faire part de quelques réflexions sur la situation actuelle dans les banlieues et aux politiques de déstructuration sociale qui ne sont pas neutres dans la dynamique du chaos."

 

Aujourd'hui... Je pointe effectivement au chômage...

(D'après le projet choucho deM. Ferry "Envie d'Agir !"

 

« La Violence n’est pas une réponse »
M. Jacques Chirac
« La Violence n’est pas une réponse mais une conséquence »…
Quelqu’un d’autre

Appeler au calme, à l’apaisement des esprits, est sans doute une chose nécessaire. Réaffirmer l’autorité de l’Etat et la nécessité de rétablir le droit Républicain s’impose sans aucun doute. Mais force est de constater que de nombreux facteurs restent actuellement absents des débats (ou du moins, se maintiennent singulièrement en arrière plan). Pour l’instant, les images qui nous parviennent des «banlieues en flammes» restent trop caricaturales. Il y a ces jeunes qui ont la haine, la «racaille», les groupes mafieux, les extrémistes. De l’autre côté, il y a les bons : les pompiers que tout le monde aime et qui sont lâchement pris pour cibles, les journalistes qui nous informent et que l’on attaque… et les forces de l’ordre qui sont obligés de défendre tout ce beau monde au risque de leurs vies.

L’analyse caricaturale des choses ne permettra en aucun cas de rétablir le calme et, surtout, elle ne permettra pas de faire en sorte que des situations similaires ne se reproduisent à l’avenir.

Certains se souviendront de Vaulx-en-Velin. 1990. Violences urbaines sans explications précises… simplement une explosion sans fondements suite au décès d’un jeune (reproductions ?). Un journaliste avait interviewé des jeunes casseurs qui, eux aussi, avaient la haine. « On nous présente une société de consommation à laquelle nous savons que nous n’avons pas accès. On nous dit que si nous ne pouvons pas consommer, c’est que nous sommes des moins que rien… Nous n’avons aucun accès au boulot, aucun pouvoir de consommer, alors on pète un plomb, on casse, on prend… »

Phrase trouvée au hasard du net sur cette période : (http://www.adri.fr/HM/articles/1227/1227p2.html)

«Ces phénomènes de violence collective se reproduisirent en automne 1990 à Vaulx-en-Velin dans le quartier du Mas-du-Taureau. Ces émeutes urbaines spontanées, nées à la suite d'un décès d'un jeune du quartier, sont le produit d'un processus d'inégalités sociales et d'injustices sociales ressenties par ces jeunes depuis plusieurs années. Incontrôlables par les institutionnels, elles engendrent la création du "comité Thomas Claudio", le jeune assassiné, duquel vont naître ensuite des associations, telle l’association Agora, qui revêt une dimension socioculturelle et d'insertion économique, mais aussi politique. »

Cela ne nous rappelle pas quelque chose ?… L’actualité par exemple… ?…

La vérité sans doute, c’est que, depuis de nombreuses années, nous connaissons les problèmes qui perdurent dans les banlieues, une masse d’études et d’observations a été produite, des actions ont vu le jour, des associations sont nées et ont souvent accompli un boulot admirable. Mais ce n’était pas suffisant, il fallait aller encore plus loin, avec plus de moyens.

Car le défi était et reste de taille. Revenons sur une dimension historique.

Il faut sans doute rappeler comment se sont construites les banlieues. Dans les années 50-60, la France était en plein boom économique. C’était les trente glorieuses et l’industrie avait besoin de main d’œuvre. Après les Italiens, les Portugais et les Espagnols, on fit venir des trains entiers de travailleurs maghrébins. Puis il fallait loger tout ce monde là et c’est ainsi que les premiers grands ensembles ont vu le jour. Déjà, une première erreur a été faite dès lors que l’on n'a pas pensé construire des espaces de vie mais des mégapôles inhumaines qui ne répondaient qu’à un seul critère : loger la main d’œuvre. C’était néanmoins un mieux, notamment pour ceux qui quittaient les bidonvilles de l’époque (se rappeler Nanterre) et qui pouvaient prétendre à un logement qualifié de «correct». Les urbanistes de l’époque ont répondu à la demande, à l’urgence, mais n’avaient pas pensé à une chose très simple, que toute concentration abusive de populations engendre des tensions qui, à défaut d’exploser, s’accumulent avec le temps.

Il n’y aura pas d’explosions majeures. Pourquoi ? Simplement parce qu’il y avait de l’emploi et que si différentes communautés d’immigrés coexistaient, c’était aussi parce qu’elles se retrouvaient dans une culture ouvrière forte et partagée.

Puis vint le chômage de masse des années 70. Les premières victimes furent ceux-là même que l’on avait fait venir d’ailleurs. Les premiers quartiers touchés ont été ces grands ensembles qui sont devenus de plus en plus des ghettos.

Aujourd’hui, les travailleurs sociaux, les acteurs associatifs et les élus locaux peuvent en témoigner, nous travaillons souvent avec une troisième génération d’inactifs, de chômeurs, de RMIstes ou (au mieux) de précaires. Le terrain est miné, et cela depuis longtemps.

Je ne sais pas si les jeunes qui se révoltent aujourd’hui connaissent bien l’histoire de leurs quartiers et le parcours de leurs parents, toujours est-il qu’il existe une chose que l’on a trop tendance à oublier : la mémoire collective. Cela se construit sur des décennies, des générations, et les injustices qu’ont subi les parents s’inscrivent dans la hargne de leurs enfants. Ce qui se passe aujourd’hui était prévisible, a été prévu… Il n’y a pas de fatalité.

Quelques petites histoires.

Retour sur expérience. Jadis, j’étais directeur d’un centre d’hébergement pour personnes en grandes difficultés. Environs 75% d’immigrés et 25% de jeunes français désœuvrés, souvent toxicomanes. Une dizaine de nationalités qui se côtoyaient. J’étais aussi responsable du service RMI.

A mon arrivé, le Conseil Général nous demandait de prendre en charge une vingtaine de dossiers par assistante sociale. C’était gérable. Progressivement, on nous a demandé de «monter en charge» et de traiter une trentaine, puis une quarantaine de dossiers. Là, ce n’était plus du tout gérable. Imaginez un instant : une AS travaille une vingtaine de jours ouvrables par mois, doit rédiger des dossiers, assister à des réunions, s’informer, prospecter pour des formations, des stages, des emplois… ainsi que recevoir les bénéficiaires du RMI en entretien. Une estimation rapide : l’AS dispose d’une à deux heures d’entretien par mois à consacrer à chaque RMIste. Peut-on faire un travail sérieux dans de telles conditions ? Assurément non. Le pire, c’est que nous avions de la chance. Dans un CCAS (Centre Communal d’Action Social) de la ville, certaines AS avaient une soixantaine de dossiers… certaines AS ont craqué.

Autre exemple du quotidien. « El-K. » était un locataire du foyer. Il sortait de prison suite à des histoires de trafic. Il était interdit de séjour dans sa région et se retrouvait du coup chez nous. Il avait aussi des problèmes de toxicomanie. J’ai passé pas mal de temps avec lui a discuter… ou plutôt à écouter, d’entendre la rage, la démission, l’incertitude face à l’absence d’avenir. Puis un jour, nous lui avions dégoté une formation de commerciale. La transformation était à peine croyable. Il se levait tôt le matin, ne manquait aucun cours, s’habillait correctement et acceptait même de porter la cravate. Métamorphose. Puis, à la fin de la formation, il fallait qu’il trouve un stage en entreprise. Il a fait toutes les boites de la région, il s’est acharné à décrocher ce foutu stage… Mais rien n’y fit. Tous les jeunes de la formation avaient trouvé quelque chose, sauf lui : son nom, sa gueule, son passé… Rien pour lui.

Aux dernières nouvelles, il avait sombré à nouveau dans la toxicomanie.

Les exemples sont nombreux et révélateurs. Il serait aussi possible d’évoquer la pénurie de médecins psychiatres et de l’impact sur ceux qui sont concernés par les « troubles du comportement ». Là encore, un terrain miné qui est de moins en moins gérable.

Mais d’une façon plus simple et plus générale, le tissu social est de plus en plus laminé. La disparition progressive des services publics et la baisse des subventions aux associations, qu’elles soient «locales», «régionales» ou «nationales» sont autant de réalités qui ne doivent pas être négligées : le lien social disparaît et laisse un champ vide… un vide qui se transforme progressivement en chaos.

Comment agir ? Comment réagir ?

L’ordre ? Malheureusement, c’est sans doute la seule réponse pour le moment car, à la différence d’autres conflits, il n’y a pas de négociations possibles car on n’arrive pas à identifier un interlocuteur… et même si on le faisait, le gouvernement est incapable de raisonner en dehors d’une logique où le rapport de forces et la loi sont les seules références.

Etonnant fossé entre les discours des officiels et des acteurs des quartiers. Dans les premiers jours, peu de médias ont donné la parole aux jeunes ou aux acteurs associatifs. Ce qui est étonnant aussi, c’est que ces acteurs locaux connaissent bien la situation, tirent la sonnette d’alarme depuis des lustres. Certains diront que leur action a échoué mais en vérité, il faut rappeler qu’ils n’ont jamais eu les moyens de mettre en œuvre leurs projets.

J’ai rencontré plusieurs fonctionnaires du Ministère de la Ville qui m’ont fait part de leurs frustrations : celles d’avoir poussé à la création d’associations de quartiers pendant des années en garantissant le soutien des initiatives qui en découleraient, puis de devoir annoncer à ces mêmes organisations que les crédits étaient coupés, voire supprimés. Quid du lien social ?

La seule alternative à trente années de négligences est désormais la répression. C’est un constat amer, un constat d’échec. Mais si ce qui n’a pas été fait depuis tant de temps a aboutit à ce que nous découvrons aujourd’hui, est-ce une raison pour continuer une politique de déstructuration sociale qui ne fait que renforcer l’exclusion et l’abandon ? Si aujourd’hui, nous ne pouvons que réagir, il faut aussi pouvoir, à nouveau, agir… pour que dans dix, vingt ou trente ans, de semblables situations ne se reproduisent plus.

Tom Roberts

 

 

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