« La Violence
n’est pas une réponse »
M. Jacques Chirac
« La Violence n’est pas une réponse mais
une conséquence »…
Quelqu’un d’autre
Appeler au calme,
à l’apaisement des esprits, est sans doute une chose
nécessaire. Réaffirmer l’autorité de
l’Etat et la nécessité de rétablir le
droit Républicain s’impose sans aucun doute. Mais force
est de constater que de nombreux facteurs restent actuellement absents
des débats (ou du moins, se maintiennent singulièrement
en arrière plan). Pour l’instant, les images qui nous
parviennent des «banlieues en flammes» restent trop
caricaturales. Il y a ces jeunes qui ont la haine, la «racaille»,
les groupes mafieux, les extrémistes. De l’autre côté,
il y a les bons : les pompiers que tout le monde aime et qui sont
lâchement pris pour cibles, les journalistes qui nous informent
et que l’on attaque… et les forces de l’ordre
qui sont obligés de défendre tout ce beau monde au
risque de leurs vies.
L’analyse
caricaturale des choses ne permettra en aucun cas de rétablir
le calme et, surtout, elle ne permettra pas de faire en sorte que
des situations similaires ne se reproduisent à l’avenir.
Certains se
souviendront de Vaulx-en-Velin. 1990. Violences urbaines sans explications
précises… simplement une explosion sans fondements
suite au décès d’un jeune (reproductions ?).
Un journaliste avait interviewé des jeunes casseurs qui,
eux aussi, avaient la haine. « On nous présente une
société de consommation à laquelle nous savons
que nous n’avons pas accès. On nous dit que si nous
ne pouvons pas consommer, c’est que nous sommes des moins
que rien… Nous n’avons aucun accès au boulot,
aucun pouvoir de consommer, alors on pète un plomb, on casse,
on prend… »
Phrase trouvée
au hasard du net sur cette période : (http://www.adri.fr/HM/articles/1227/1227p2.html)
«Ces
phénomènes de violence collective se reproduisirent
en automne 1990 à Vaulx-en-Velin dans le quartier du Mas-du-Taureau.
Ces émeutes urbaines spontanées, nées à
la suite d'un décès d'un jeune du quartier, sont le
produit d'un processus d'inégalités sociales et d'injustices
sociales ressenties par ces jeunes depuis plusieurs années.
Incontrôlables par les institutionnels, elles engendrent la
création du "comité Thomas Claudio", le
jeune assassiné, duquel vont naître ensuite des associations,
telle l’association Agora, qui revêt une dimension socioculturelle
et d'insertion économique, mais aussi politique. »
Cela ne nous
rappelle pas quelque chose ?… L’actualité par
exemple… ?…
La vérité
sans doute, c’est que, depuis de nombreuses années,
nous connaissons les problèmes qui perdurent dans les banlieues,
une masse d’études et d’observations a été
produite, des actions ont vu le jour, des associations sont nées
et ont souvent accompli un boulot admirable. Mais ce n’était
pas suffisant, il fallait aller encore plus loin, avec plus de moyens.
Car le défi
était et reste de taille. Revenons sur une dimension historique.
Il faut sans
doute rappeler comment se sont construites les banlieues. Dans les
années 50-60, la France était en plein boom économique.
C’était les trente glorieuses et l’industrie
avait besoin de main d’œuvre. Après les Italiens,
les Portugais et les Espagnols, on fit venir des trains entiers
de travailleurs maghrébins. Puis il fallait loger tout ce
monde là et c’est ainsi que les premiers grands ensembles
ont vu le jour. Déjà, une première erreur a
été faite dès lors que l’on n'a pas pensé
construire des espaces de vie mais des mégapôles inhumaines
qui ne répondaient qu’à un seul critère
: loger la main d’œuvre. C’était néanmoins
un mieux, notamment pour ceux qui quittaient les bidonvilles de
l’époque (se rappeler Nanterre) et qui pouvaient prétendre
à un logement qualifié de «correct». Les
urbanistes de l’époque ont répondu à
la demande, à l’urgence, mais n’avaient pas pensé
à une chose très simple, que toute concentration abusive
de populations engendre des tensions qui, à défaut
d’exploser, s’accumulent avec le temps.
Il n’y
aura pas d’explosions majeures. Pourquoi ? Simplement parce
qu’il y avait de l’emploi et que si différentes
communautés d’immigrés coexistaient, c’était
aussi parce qu’elles se retrouvaient dans une culture ouvrière
forte et partagée.
Puis vint le
chômage de masse des années 70. Les premières
victimes furent ceux-là même que l’on avait fait
venir d’ailleurs. Les premiers quartiers touchés ont
été ces grands ensembles qui sont devenus de plus
en plus des ghettos.
Aujourd’hui,
les travailleurs sociaux, les acteurs associatifs et les élus
locaux peuvent en témoigner, nous travaillons souvent avec
une troisième génération d’inactifs,
de chômeurs, de RMIstes ou (au mieux) de précaires.
Le terrain est miné, et cela depuis longtemps.
Je ne sais pas
si les jeunes qui se révoltent aujourd’hui connaissent
bien l’histoire de leurs quartiers et le parcours de leurs
parents, toujours est-il qu’il existe une chose que l’on
a trop tendance à oublier : la mémoire collective.
Cela se construit sur des décennies, des générations,
et les injustices qu’ont subi les parents s’inscrivent
dans la hargne de leurs enfants. Ce qui se passe aujourd’hui
était prévisible, a été prévu…
Il n’y a pas de fatalité.
Quelques
petites histoires.
Retour sur expérience.
Jadis, j’étais directeur d’un centre d’hébergement
pour personnes en grandes difficultés. Environs 75% d’immigrés
et 25% de jeunes français désœuvrés, souvent
toxicomanes. Une dizaine de nationalités qui se côtoyaient.
J’étais aussi responsable du service RMI.
A mon arrivé,
le Conseil Général nous demandait de prendre en charge
une vingtaine de dossiers par assistante sociale. C’était
gérable. Progressivement, on nous a demandé de «monter
en charge» et de traiter une trentaine, puis une quarantaine
de dossiers. Là, ce n’était plus du tout gérable.
Imaginez un instant : une AS travaille une vingtaine de jours ouvrables
par mois, doit rédiger des dossiers, assister à des
réunions, s’informer, prospecter pour des formations,
des stages, des emplois… ainsi que recevoir les bénéficiaires
du RMI en entretien. Une estimation rapide : l’AS dispose
d’une à deux heures d’entretien par mois à
consacrer à chaque RMIste. Peut-on faire un travail sérieux
dans de telles conditions ? Assurément non. Le pire, c’est
que nous avions de la chance. Dans un CCAS (Centre Communal d’Action
Social) de la ville, certaines AS avaient une soixantaine de dossiers…
certaines AS ont craqué.
Autre exemple
du quotidien. « El-K. » était un locataire du
foyer. Il sortait de prison suite à des histoires de trafic.
Il était interdit de séjour dans sa région
et se retrouvait du coup chez nous. Il avait aussi des problèmes
de toxicomanie. J’ai passé pas mal de temps avec lui
a discuter… ou plutôt à écouter, d’entendre
la rage, la démission, l’incertitude face à
l’absence d’avenir. Puis un jour, nous lui avions dégoté
une formation de commerciale. La transformation était à
peine croyable. Il se levait tôt le matin, ne manquait aucun
cours, s’habillait correctement et acceptait même de
porter la cravate. Métamorphose. Puis, à la fin de
la formation, il fallait qu’il trouve un stage en entreprise.
Il a fait toutes les boites de la région, il s’est
acharné à décrocher ce foutu stage… Mais
rien n’y fit. Tous les jeunes de la formation avaient trouvé
quelque chose, sauf lui : son nom, sa gueule, son passé…
Rien pour lui.
Aux dernières
nouvelles, il avait sombré à nouveau dans la toxicomanie.
Les exemples
sont nombreux et révélateurs. Il serait aussi possible
d’évoquer la pénurie de médecins psychiatres
et de l’impact sur ceux qui sont concernés par les
« troubles du comportement ». Là encore, un terrain
miné qui est de moins en moins gérable.
Mais d’une
façon plus simple et plus générale, le tissu
social est de plus en plus laminé. La disparition progressive
des services publics et la baisse des subventions aux associations,
qu’elles soient «locales», «régionales»
ou «nationales» sont autant de réalités
qui ne doivent pas être négligées : le lien
social disparaît et laisse un champ vide… un vide qui
se transforme progressivement en chaos.
Comment
agir ? Comment réagir ?
L’ordre
? Malheureusement, c’est sans doute la seule réponse
pour le moment car, à la différence d’autres
conflits, il n’y a pas de négociations possibles car
on n’arrive pas à identifier un interlocuteur…
et même si on le faisait, le gouvernement est incapable de
raisonner en dehors d’une logique où le rapport de
forces et la loi sont les seules références.
Etonnant fossé
entre les discours des officiels et des acteurs des quartiers. Dans
les premiers jours, peu de médias ont donné la parole
aux jeunes ou aux acteurs associatifs. Ce qui est étonnant
aussi, c’est que ces acteurs locaux connaissent bien la situation,
tirent la sonnette d’alarme depuis des lustres. Certains diront
que leur action a échoué mais en vérité,
il faut rappeler qu’ils n’ont jamais eu les moyens de
mettre en œuvre leurs projets.
J’ai rencontré
plusieurs fonctionnaires du Ministère de la Ville qui m’ont
fait part de leurs frustrations : celles d’avoir poussé
à la création d’associations de quartiers pendant
des années en garantissant le soutien des initiatives qui
en découleraient, puis de devoir annoncer à ces mêmes
organisations que les crédits étaient coupés,
voire supprimés. Quid du lien social ?
La seule alternative
à trente années de négligences est désormais
la répression. C’est un constat amer, un constat d’échec.
Mais si ce qui n’a pas été fait depuis tant
de temps a aboutit à ce que nous découvrons aujourd’hui,
est-ce une raison pour continuer une politique de déstructuration
sociale qui ne fait que renforcer l’exclusion et l’abandon
? Si aujourd’hui, nous ne pouvons que réagir, il faut
aussi pouvoir, à nouveau, agir… pour que dans dix,
vingt ou trente ans, de semblables situations ne se reproduisent
plus.
Tom Roberts
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