Limite franchie avec le référendum : « Nous
vous avons entendu, le peuple est souverain, nous en tiendrons compte…
»
Ce choix qui s’est traduit par un non massif
et franc, était une remise en question du modèle européen
actuel, soumis à des choix économiques qui répondent
aux exigences d’une mondialisation galopante au travers d’une
orientation franchement néolibérale. Ce choix était
aussi le fruit d’un constat à propos d’un déficit
démocratique flagrant entraînant l’inacceptable
: que le pouvoir véritable soit concentré entre les
mais de l’exécutif au détriment du politique
!
D’autres raisons variées (et, avouons
le, parfois avariées) ont motivé le «non».
En tout état de cause, le choix du peuple français
n’est pas conjoncturel mais découle d’un long
processus où des litres –des hectolitres- d’eau
ont fini par faire déborder une vase qui se remplit progressivement
depuis des lustres.
Mais, puisque la populace avait été
entendue, quelle réponse fallait-il apporter pour répondre
à son refus ?
Il semblait que la réponse appropriée
aurait été d’avouer, non une crise de conjoncture,
mais une crise nettement plus profonde qui serait liée aux
fondements mêmes de notre société et qui touche
à des valeurs que l’on considère comme indéboulonables
: la démocratie, les relations entre un peuple et ses représentants,
la participation, la place de l’homme par rapport à
l’économie, les institutions et j’en passe…
Il est vrai que d’ouvrir CE débat n’est
pas chose aisée, on peut même avancer qu’il y
aurait péril en la demeure. Les effets pourraient être
encore plus catastrophiques pour la classe dirigeante… celle
du pouvoir et de son «alter» légitime (ceux qui
ont, en somme, appelé à voter «oui»).
En effet, une bonne partie du «non» peut être
entendue comme une véritable remise en question du système
qui garanti le pouvoir des «légitimes» (droite
comme gauche) ainsi que des choix économiques qui n’ont
pas démontré leur pertinence (notamment en termes
de croissance).
Quel que soit les différentes raisons qui
ont motivé les électeurs, il semble évident
que l’interprétation du choix, l’analyse des
résultats ou encore la volonté de chercher des réponses
appropriées implique un débat de société
et l’acceptation de changements structurels, politiques, économiques…
C’est mal parti. La catastrophe a été,
comme toujours, enrobée de draps de soie. Les légitimes
ont affirmé avoir entendu le message : oui, il y a du mécontentement,
du raz le bol, de la révolte… Tout est la faute…
au chômage.
Magnifique.
Il est vrai que le chômage soulève
des craintes, des peurs. Les indicateurs en termes de croissance
sont plutôt orientés dans le «rouge» (Pour
que le chômage reste stable, on considère qu’il
faut une croissance de 2%. On n’en est pas là). Ajoutez
là-dessus, pour les populistes en tous genres et de tous
bords, qu’un milliard de chinois s’apprêtent à
nous bouffer économiquement (Troyes, capital du textile,
sera rayé de la carte) et qu’une invasion de plombiers
polonais est imminente. L’angoisse devient totale.
Et les politiques, les vrais, les pros de la chose
publique, adorent l’angoisse, ils aiment la peur, ils raffolent
de l’insécurité… Car les gouttes de sueur
qui en découlent et qui coulent sont autant de voix qui pèsent
dans la balance.
Le chômage est donc devenu LA raison du «non».
Redémarrez l’emploi et les lycéens rentrent
sagement en classe, filez du taff et le corps enseignant cessent
de rouspéter, créer du boulot (quel qu’il soit)
et les fonctionnaires des services publics redécouvrent la
joie de vivre, les futurs retraités soufflent à nouveaux
et les chômeurs (s’il en reste) des usines délocalisées
respirent à nouveau l’espoir.
On a, quelque part, des doutes sérieuses
et non moins légitimes sur le degré de connerie qu’on
nous attribue. Mais pourquoi ne pas tenter le coup ? Ca a marché
par le passé. Sait-on jamais…
Mais gaffe quand même. Les solutions que l’on
nous propose risquent de ne pas apaiser le courroux populaire. Les
mesures destinées à favoriser l’emploi sont
des bouche-trous, des cache-sexe mal ficelées qui se traduiront
par de nouvelles frustrations car l’emploi précaire
ne remplace pas la précarité qui ne remplace pas le
chômage. On vous demande un projet professionnel sans penser
que vous avez peut être –aussi- un projet de vie, une
ambition pour vos gamins, une volonté de jouir d’un
truc qui s’appelle «bien être»… bref,
tout ce que l’emploi précaire, dévalorisé,
sous payé, incertain à long terme… ne peut offrir.
On appelle cela la société duale.
Mais il faut gagner du temps, car si la colère
dégénère en révolte, il faut avoir les
moyens de la mater. Grâce à l’insécurité
dans les quartiers et au terrorisme international, les mesures prises
(restriction des libertés, groupes d’intervention et
tutti quanti…) permettront de faire face à l’ennemi
intérieur. Sauf qu’il faut encore du temps, il faut
gagner du temps. Patientez.
Mais ne nous égarons pas. Revenons
à nos moutons :
la constitution et les conséquences du non.
Abordons une autre interrogation qui relèvera pour certains
d’une dose de paranoïa.
La convention, la fameuse convention, qui fut mandatée
sous la présidence du sieur d’Estaing, pour rédiger
ce projet de traité constitutionnel, ne pouvait-elle pas
prédire ou envisager l’échec ? Il s’agit
pourtant de gens sérieux, qui ont fait des tas d’études
et qui sont censé imaginer l’avenir de l’Europe.
Ils auraient pu au moins évaluer leurs chances de réussite.
Cela peut paraître curieux comme question
mais regardons de plus près : les Français ont jugé
ce texte «pas assez social», les Anglais pensent qu’il
n’est pas assez libéral, les Hollandais en ont marre
de donner plus qu’ils reçoivent (sans oublier la montée
d’une certaine xénophobie, la peur de l’étranger,
de l’Islam, des Turcs…). Les Français (encore
eux) souhaitent y inclure la liste de tous les droits, y compris
celui de disposer de son corps, d’avoir accès à
la contraception ou à l’avortement… le droit
des homosexuels et lesbiennes… le total. De leur côté,
les Polonais, les Irlandais ou les Italiens suffoquent d’emblée
à de telles idées.
Inutile d’insister, le projet était
mort né. Et aucune de ces personnes d’intelligence
supérieure n’a rien vu venir. C’est intriguant…
Au point où on peut envisager un autre scénario (et
c’est là où l’on aborde la dimension paranoïaque.
Je souhaite néanmoins que Thierry Meyssan reste en dehors
de tout ceci) : et si, finalement, tout le monde se fout royalement
de la constitution ?
Car il y a trois cas de figure à prendre
en compte :
Un. Une constitution qui corresponde à la
réalité européenne d’aujourd’hui,
avec son déficit démocratique, ses tendances néolibérales,
sa technocratie flagrante… en somme, un résumé
des traités passés avec quelques concessions par-ci
par-là pour séduire. Cette version a été
rejetée.
Deux. Une constitution qui répondrait aux
aspirations réelles du peuple européen. Et là,
on a vu que ce n’était pas de la tarte et que, de toutes
façons, si ce type de document voyait un jour le jour, elle
remettrait en cause les fondements même de la structure européenne
telle qu’elle a été construite depuis cinquante
ans.
Trois. Pas de constitution, une crise par absence
de règles communes. C’est le choix final et c’est
la situation à laquelle nous sommes aujourd’hui confrontées.
FLASHBACK
Rappelez-vous Cancun. Lorsque l’OMC fut mise
en échec. Etait-ce réellement un échec ?
Petit flash-back : Cancun, ville en somme assez
confortable du Mexique. Les Altermondialistes envahissent les rues,
appuyés par un tas d’organisations locales, notamment
les paysans de la région. Objectif : faire échec à
l’OMC. Les représentants des pays dits «du Sud»,
fort de cet appui providentiel, exigent, réclament et revendiquent.
Conclusion : aucun accord n’est passé. L’échec
est réussi.
Altermondialistes, paysans, ONG, associations et
représentants des pays du Sud crient victoire. On a mis en
échec la machine immonde, le néolibéralisme
est atteint, meurtri.
Mon cul.
Car la stratégie est implacable : soit on
adopte les règles de ceux qui les fixent (les dominants)
soit on n’en adopte aucune car l’absence de règles
est le vivier sur lequel se développe le néolibéralisme.
Quelqu’un l’avait d’ailleurs écrit (à
savoir qui) : le libéralisme, c’est le capitalisme
avec des règles tandis que le néolibéralisme,
c’est le capitalisme sans règles, sans éthique,
sans repères… d’où son potentiel dévastateur.
Après Cancun, les opposants criaient victoire
et les multinationales se frottaient les mains.
Ne sommes-nous donc pas, aux lendemains du référendum
sur le traité de Constitution Européenne, dans le
même cas de figure ?
Aujourd’hui, l’enjeu est de taille.
Se contenter de la victoire du «non» reviendrait à
faire fausse route. Penser que le «non» est uniquement
le fruit de l’implication citoyenne (le non-de-gauche) serait
une erreur stratégique. Il faut (ouhlala, on s’avance)
remettre la machine en route et exiger une nouvelle et réelle
constitution. La tâche sera rude considérant les points
de vue divergents… mais abandonner en cours de route serait
une victoire pour ceux qui ont été publiquement désavoués.
Diluer le sens du «non» dans une banale
politique de lutte contre le chômage est une stratégie
qu’il ne faut pas cautionner… car c’est dénaturer
ce pour quoi tant de citoyens se sont battus.
Et c’est là, pour conclure, que l’on
s’octroie le droit de délirer un peu (le délire
après la paranoïa complète la jouissance, non
?).
Je ne sais pas combien a coûté le travail
de la convention. A mon avis, c’est bonbon avec intérêts.
Force est de constater qu’ils n’ont pas rempli leur
mission, le produit avarié fut rejeté. Rentabilité
nulle. Si l’on suit les règles qui sont en cours dans
le monde néolibéral, du commerce, de la concurrence,
des marchés… celui qui reçoit des fonds pour
construire un bâtiment, et qui ne le construit pas, rembourse.
Celui qui n’a pas fourni le service pour lequel il a été
payé rembourse. La pizza payée et commandée
mais non livré doit être remboursé…
Alors qu’ils remboursent.
Ou alors que l’on donne les moyens aux citoyens
de se la refaire, cette constitution.