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COMMENT SOIGNER
LA GUEULE DE BOIS DU 30 MAI AU MATIN
... ?


Admiratifs.

Voilà ce que l’on est. Avouons une admiration certaine pour ces politiques de profession et de cœur qui arrivent à enrober n’importe quelle forme de catastrophe dans des draps de soie afin d’en limiter l’impact sur leur carrière ou leur pouvoir, en détournant sans vergogne tout raisonnement logique grâce à des analyses qui embrouillerait tout jésuite qui se respecte. M. Chirac fait partie de ces magiciens et, en la matière, on peut dire qu’il excelle. Malgré tout, comme chacun en convient, toute chose a une fin et on sent que, pour le président et son équipe, ce moment s’approche.

Le palmarès n’en est pas moins impressionnant pour autant : en 2002, avec 82% des voix, M. Chirac avait concédé que son élection n’était pas forcement le fruit d’une adhésion de masse et qu’il en tiendrait compte. Pourtant…

A chaque grande mobilisation (entre l’éducation nationale aux retraites en passant par la sécu…), lui et son équipe ont assuré qu’ils avaient entendu la vox populi et qu’ils en tiendraient compte… Pourtant.

Après l’échec cuisant des régionales, ils avaient aussi «entendu»… et pourtant.

Au poker, le bluff paye bien… des fois. En politique aussi… jusqu’à une certaine limite.


Limite franchie avec le référendum : « Nous vous avons entendu, le peuple est souverain, nous en tiendrons compte… »

Ce choix qui s’est traduit par un non massif et franc, était une remise en question du modèle européen actuel, soumis à des choix économiques qui répondent aux exigences d’une mondialisation galopante au travers d’une orientation franchement néolibérale. Ce choix était aussi le fruit d’un constat à propos d’un déficit démocratique flagrant entraînant l’inacceptable : que le pouvoir véritable soit concentré entre les mais de l’exécutif au détriment du politique !

D’autres raisons variées (et, avouons le, parfois avariées) ont motivé le «non». En tout état de cause, le choix du peuple français n’est pas conjoncturel mais découle d’un long processus où des litres –des hectolitres- d’eau ont fini par faire déborder une vase qui se remplit progressivement depuis des lustres.

Mais, puisque la populace avait été entendue, quelle réponse fallait-il apporter pour répondre à son refus ?

Il semblait que la réponse appropriée aurait été d’avouer, non une crise de conjoncture, mais une crise nettement plus profonde qui serait liée aux fondements mêmes de notre société et qui touche à des valeurs que l’on considère comme indéboulonables : la démocratie, les relations entre un peuple et ses représentants, la participation, la place de l’homme par rapport à l’économie, les institutions et j’en passe…

Il est vrai que d’ouvrir CE débat n’est pas chose aisée, on peut même avancer qu’il y aurait péril en la demeure. Les effets pourraient être encore plus catastrophiques pour la classe dirigeante… celle du pouvoir et de son «alter» légitime (ceux qui ont, en somme, appelé à voter «oui»). En effet, une bonne partie du «non» peut être entendue comme une véritable remise en question du système qui garanti le pouvoir des «légitimes» (droite comme gauche) ainsi que des choix économiques qui n’ont pas démontré leur pertinence (notamment en termes de croissance).

Quel que soit les différentes raisons qui ont motivé les électeurs, il semble évident que l’interprétation du choix, l’analyse des résultats ou encore la volonté de chercher des réponses appropriées implique un débat de société et l’acceptation de changements structurels, politiques, économiques…

C’est mal parti. La catastrophe a été, comme toujours, enrobée de draps de soie. Les légitimes ont affirmé avoir entendu le message : oui, il y a du mécontentement, du raz le bol, de la révolte… Tout est la faute… au chômage.

Magnifique.

Il est vrai que le chômage soulève des craintes, des peurs. Les indicateurs en termes de croissance sont plutôt orientés dans le «rouge» (Pour que le chômage reste stable, on considère qu’il faut une croissance de 2%. On n’en est pas là). Ajoutez là-dessus, pour les populistes en tous genres et de tous bords, qu’un milliard de chinois s’apprêtent à nous bouffer économiquement (Troyes, capital du textile, sera rayé de la carte) et qu’une invasion de plombiers polonais est imminente. L’angoisse devient totale.

Et les politiques, les vrais, les pros de la chose publique, adorent l’angoisse, ils aiment la peur, ils raffolent de l’insécurité… Car les gouttes de sueur qui en découlent et qui coulent sont autant de voix qui pèsent dans la balance.

Le chômage est donc devenu LA raison du «non». Redémarrez l’emploi et les lycéens rentrent sagement en classe, filez du taff et le corps enseignant cessent de rouspéter, créer du boulot (quel qu’il soit) et les fonctionnaires des services publics redécouvrent la joie de vivre, les futurs retraités soufflent à nouveaux et les chômeurs (s’il en reste) des usines délocalisées respirent à nouveau l’espoir.

On a, quelque part, des doutes sérieuses et non moins légitimes sur le degré de connerie qu’on nous attribue. Mais pourquoi ne pas tenter le coup ? Ca a marché par le passé. Sait-on jamais…

Mais gaffe quand même. Les solutions que l’on nous propose risquent de ne pas apaiser le courroux populaire. Les mesures destinées à favoriser l’emploi sont des bouche-trous, des cache-sexe mal ficelées qui se traduiront par de nouvelles frustrations car l’emploi précaire ne remplace pas la précarité qui ne remplace pas le chômage. On vous demande un projet professionnel sans penser que vous avez peut être –aussi- un projet de vie, une ambition pour vos gamins, une volonté de jouir d’un truc qui s’appelle «bien être»… bref, tout ce que l’emploi précaire, dévalorisé, sous payé, incertain à long terme… ne peut offrir. On appelle cela la société duale.

Mais il faut gagner du temps, car si la colère dégénère en révolte, il faut avoir les moyens de la mater. Grâce à l’insécurité dans les quartiers et au terrorisme international, les mesures prises (restriction des libertés, groupes d’intervention et tutti quanti…) permettront de faire face à l’ennemi intérieur. Sauf qu’il faut encore du temps, il faut gagner du temps. Patientez.

Mais ne nous égarons pas. Revenons à nos moutons :

la constitution et les conséquences du non. Abordons une autre interrogation qui relèvera pour certains d’une dose de paranoïa.

La convention, la fameuse convention, qui fut mandatée sous la présidence du sieur d’Estaing, pour rédiger ce projet de traité constitutionnel, ne pouvait-elle pas prédire ou envisager l’échec ? Il s’agit pourtant de gens sérieux, qui ont fait des tas d’études et qui sont censé imaginer l’avenir de l’Europe. Ils auraient pu au moins évaluer leurs chances de réussite.

Cela peut paraître curieux comme question mais regardons de plus près : les Français ont jugé ce texte «pas assez social», les Anglais pensent qu’il n’est pas assez libéral, les Hollandais en ont marre de donner plus qu’ils reçoivent (sans oublier la montée d’une certaine xénophobie, la peur de l’étranger, de l’Islam, des Turcs…). Les Français (encore eux) souhaitent y inclure la liste de tous les droits, y compris celui de disposer de son corps, d’avoir accès à la contraception ou à l’avortement… le droit des homosexuels et lesbiennes… le total. De leur côté, les Polonais, les Irlandais ou les Italiens suffoquent d’emblée à de telles idées.

Inutile d’insister, le projet était mort né. Et aucune de ces personnes d’intelligence supérieure n’a rien vu venir. C’est intriguant… Au point où on peut envisager un autre scénario (et c’est là où l’on aborde la dimension paranoïaque. Je souhaite néanmoins que Thierry Meyssan reste en dehors de tout ceci) : et si, finalement, tout le monde se fout royalement de la constitution ?

Car il y a trois cas de figure à prendre en compte :

Un. Une constitution qui corresponde à la réalité européenne d’aujourd’hui, avec son déficit démocratique, ses tendances néolibérales, sa technocratie flagrante… en somme, un résumé des traités passés avec quelques concessions par-ci par-là pour séduire. Cette version a été rejetée.

Deux. Une constitution qui répondrait aux aspirations réelles du peuple européen. Et là, on a vu que ce n’était pas de la tarte et que, de toutes façons, si ce type de document voyait un jour le jour, elle remettrait en cause les fondements même de la structure européenne telle qu’elle a été construite depuis cinquante ans.

Trois. Pas de constitution, une crise par absence de règles communes. C’est le choix final et c’est la situation à laquelle nous sommes aujourd’hui confrontées.

FLASHBACK

Rappelez-vous Cancun. Lorsque l’OMC fut mise en échec. Etait-ce réellement un échec ?

Petit flash-back : Cancun, ville en somme assez confortable du Mexique. Les Altermondialistes envahissent les rues, appuyés par un tas d’organisations locales, notamment les paysans de la région. Objectif : faire échec à l’OMC. Les représentants des pays dits «du Sud», fort de cet appui providentiel, exigent, réclament et revendiquent. Conclusion : aucun accord n’est passé. L’échec est réussi.

Altermondialistes, paysans, ONG, associations et représentants des pays du Sud crient victoire. On a mis en échec la machine immonde, le néolibéralisme est atteint, meurtri.

Mon cul.

Car la stratégie est implacable : soit on adopte les règles de ceux qui les fixent (les dominants) soit on n’en adopte aucune car l’absence de règles est le vivier sur lequel se développe le néolibéralisme. Quelqu’un l’avait d’ailleurs écrit (à savoir qui) : le libéralisme, c’est le capitalisme avec des règles tandis que le néolibéralisme, c’est le capitalisme sans règles, sans éthique, sans repères… d’où son potentiel dévastateur.

Après Cancun, les opposants criaient victoire et les multinationales se frottaient les mains.

Ne sommes-nous donc pas, aux lendemains du référendum sur le traité de Constitution Européenne, dans le même cas de figure ?

Aujourd’hui, l’enjeu est de taille. Se contenter de la victoire du «non» reviendrait à faire fausse route. Penser que le «non» est uniquement le fruit de l’implication citoyenne (le non-de-gauche) serait une erreur stratégique. Il faut (ouhlala, on s’avance) remettre la machine en route et exiger une nouvelle et réelle constitution. La tâche sera rude considérant les points de vue divergents… mais abandonner en cours de route serait une victoire pour ceux qui ont été publiquement désavoués.

Diluer le sens du «non» dans une banale politique de lutte contre le chômage est une stratégie qu’il ne faut pas cautionner… car c’est dénaturer ce pour quoi tant de citoyens se sont battus.

Et c’est là, pour conclure, que l’on s’octroie le droit de délirer un peu (le délire après la paranoïa complète la jouissance, non ?).

Je ne sais pas combien a coûté le travail de la convention. A mon avis, c’est bonbon avec intérêts. Force est de constater qu’ils n’ont pas rempli leur mission, le produit avarié fut rejeté. Rentabilité nulle. Si l’on suit les règles qui sont en cours dans le monde néolibéral, du commerce, de la concurrence, des marchés… celui qui reçoit des fonds pour construire un bâtiment, et qui ne le construit pas, rembourse. Celui qui n’a pas fourni le service pour lequel il a été payé rembourse. La pizza payée et commandée mais non livré doit être remboursé…

Alors qu’ils remboursent.

Ou alors que l’on donne les moyens aux citoyens de se la refaire, cette constitution.

Trêve de délire. Il y a du taff.

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